
Alors que je sors du parking, de son poste de conductrice, elle me fait un signe amical de la main. C’est bien la première fois que cela arrive, même si cela semble normal et logique puisqu’on se rend au même endroit. Cinq minutes plus tard, nous entrons l’un après l’autre à l’église pour prendre place dans le demi cercle de chaises qui attend des fidèles pour l’office.
L’habitude nous pousse à gauche, elle est la première de la série dans l’arc vide à ce moment, je suis le second. Après quelques instants, le temps de s’asseoir, elle m’adresse la parole et me dit :
« Cela vous a plu, hier ? » « Ah, hier, que s’est il passé ? »
« Je vous ai vu à la séance de cinéma » me dit-elle.
« Je n’ai pas été au cinéma, hier. »
« Je croyais vous y avoir vu. C’est alors quelqu’un qui vous ressemble. »
Au fond, des ressemblances, il y en a de temps à autre, des allures proches, des impressions qui flottent sans qu’on sache pourquoi. On se connaît peu, c’est donc possible. Une minute à peine, après, une connaissance plus confirmée, que je rencontre depuis longtemps vient s’asseoir à ma droite. Après les salutations d’usage, elle me dit
« Tu as aimé le film hier ? »
« Mais je n’ai pas été au cinéma hier. »
« Ah, j’ai cru t’y voir. » ajoute-t-elle.
Une conclusion s’impose. J’ai un double. Nous partageons la coïncidence, en souriant. Un sosie m’a représenté. Pourquoi pas, deux fois, cela renforce l’image de celui-ci. Me voilà entouré, à gauche et à droite curieusement, une même perception m’est offerte. L’âge aidant, les cheveux plus rares favorisent sans doute des ressemblances. Quelque chose pourtant ne lui plait pas. Elle doit être du genre méfiant, ou n’aime pas prendre des vessies pour des lanternes. Hésitation, froncement de sourcils, Questionnement.
Une nouvelle arrivante, nouvelles salutations. C’est un cercle d’habitué, nous nous connaissons plus ou moins, je l’ai rencontrée quelque fois. Ma voisine de droite lui adresse la question.
« Tu l’as vu hier ? » (en parlant de moi).
« Tu sais répond-t-elle, je ne sais pas voir toutes mes connaissances. Elles sont trop nombreuses. »
La voilà déçue, elle s’est vraiment, trompée. Un deuxième déni à porter. L’intermède se clôture. Curieux cette dualité, cette coïncidence ? Elle me trotte dans la tête. Aurais-je le don d’ubiquité ? Non, je m’en serais rendu compte depuis longtemps. Alors une histoire de jumeau. L’idée me trotte dans la tête, fait un retour après un long temps d’oubli. Plus large, plus étonnante.
Quelques années plus tôt, j’avais noté autour de moi de nombreuses coïncidences, à propos d’une petite sœur perdue dans mon histoire, dans ma gestation. L’évidence s’est imposée, sans le moindre doute. J’avais une jumelle évanescente, compagne d’un voyage de quelques semaines. Dans mon esprit, elle est toujours là, je l’ai nommée, elle est sur un petit nuage là-haut, même si l’un ou l’autre fronce les sourcils à un tel récit. Est-ce une nouvelle aventure, une nouvelle évidence qui se met en route, qui se pointe à l’horizon. Le fantôme d’un vrai jumeau perdu ! Je n’ai rien fait pour le susciter, il s’impose à moi, un matin de novembre, à la messe du matin. Nouveau chapitre de ma vie. A quand la nouvelle évidence, le nouvel indice?
Curieusement depuis un certain temps, j’ai ajouté à mon prénom un tiret et un deuxième prénom pour me distinguer d’une autre personne qui vit dans la ville voisine, et avec qui je pourrais être confondu. N’a-t-il pas fait les mêmes études au même endroit. Dans l’annuaire des anciens élèves, nos deux noms et prénoms voisinent. Indice supplémentaire.
Dans la prière qui nous rassemble, je suis debout, le soleil matinal apparait juste au bord du vitrail qui me fait face. Je suis ébloui, par sa lumière. Je ferme les yeux, aveuglé. Je m’entends réciter le texte avec la dizaine des participants. Je suis suspendu hors du temps. Moment serein, profond rempli d’émerveillement.
Une nouvelle journée vient de commencer. Je suis riche d’une nouvelle perception.