Colères,
Les émotions des dernières semaines particulièrement vives et inhabituelles, étaient à peine apaisées. Sous ma couche habituelle de réserve et de distance, je les imaginaient à l’affût d’une étincelle qui les remettraient en feu.
Un écorché vif habitait sous elle, j’en étais presque sur à présent et comme le chirurgien qui a ouvert la peau et qui regarde les viscères, je jetais un œil distant sur les sensations qui étaient apparues pour essayer d’en percevoir leur nature.
Une première émotion de colère avait surgi dans un tour de table entre amis quand mon tour était arrivé. Tapie dans le plexus, la sensation physique était montée à travers ma gorge comme l’ eau d’un geyser intermittent. En un clin d’œil, la colère était là présente dans ma bouche, prête a être verbalisée. Identique au fonctionnement d’une soupape de sécurité, de manière inattendue, rapide.
Pour faire face, honorablement, j’avais passé la main au suivant, pour ne pas être habité par l’irrationnel, pour ne pas faire front peut-être ou ne pas réveiller complètement un fantôme sorti de son sommeil profond. Comme pour une berge affaiblie par le travail souterrain de l’eau, il n’avait fallu qu’une autre circonstance extérieure adéquate pour que le plat d’émotion repasse, se mette à jour, qu’il entre en action.
Un mois plus tard, l’émotion était entrée dans le langage, grâce à un interlocuteur tenace et rigide qui voulait avoir raison de mes arguments logiques et pertinents. A chaque retour de ceux-ci, il revenait avec une proposition hors propos qui était le plus à même de me mettre hors de mes gonds et il avait réussi. C’était la première fois qu’une violente colère m’habitait face à un interlocuteur. Devant témoins, dans une bataille rangée d’arguments, nous croissions le fer, avec vigueur et ténacité. Dans ma vie, je n’avais jamais eu de propos de la sorte avec des collègues. Agité par une violence que je ne me connaissais pas, j’étais projeté par la colère dans une altercation bruyante et à peine sensée.
Peu importaient les conséquences, je m’accrochais à mes arguments et pourfendais le malotru qui s’opposait à mes argumentations, tout en ressentant intérieurement une tremblement physique causé sans doute par la limite que je venais de franchir. Sans ma réserve habituelle, toujours active en arrière fond, j’aurais cassé l’un ou l’autre objet, émis des paroles blessantes, irrécupérables.
Mon image de sage, en avait pris un coup, à ses yeux, je ne l’étais plus, aux miens non plus. J’étais entré dans la catégorie des irresponsables où je plaçais facilement les autres.
Les scènes étaient repassées dans ma tête plusieurs fois, j’avais argumenté par écrit, menacé, préparé ma vengeance de cette situation inacceptable, sans doute pour moi qui cherchait toujours le consensus. Un beau matin, une petite voix me dit « Tu es sorti de ta réserve, tu en as parlé, tu as argumenté. Tu as osé dire ton point de vue sur les péripéties du projet. »
D’une certaine manière, je ne m’étais pas dédit, effacé, culpabilisé. J’étais entré dans un conflit, il me fallait nécessairement en gérer les conséquences.
A présent, mes émotions s’apaisaient. Ce n’était pas mon sac de larmes qui se vidaient, mais mon sac de colère rentrée, de colère accumulée dans un passé lointain, dans mon enfance surtout où je n’étais pas respecté mais humilié par une communication violente d’adultes et ou pour survivre, il fallait la couler douce. Le risque de l’abandon, de la correction physique, était là bien présent. L’angoisse de perdre la sécurité d’existence. Les sentiments qui m’agitaient n’étaient pas clairs, précis, il y avait de la colère, de la peur, de l’angoisse, tout un ensemble négatif qui parcourait le faible, face au fort, à l’adulte.
La colère terrible de mon père vis à vis de ma soeur me revenait en mémoire. Elle l’affrontait, je prenais la tangente, je prenais le rôle de l’enfant sage, de l’obéissant, du brave comme on dit à la campagne, au prix de la construction de ma prison, de mon enfermement.
Un abcès venait de s’ouvrir comme pour celui ancien des larmes.
Mon corps venait de s’ouvrir réveillant mes colères enfermées. Un tremblement intérieur m’agitait.