Toux, Fourre-tout, Toussotement, toux grasse, bileuse, toux sèche. Toux caverneuse, étrange, dérangeante, toux de ma fille. Dix ans déjà qu’elle grandit, qu’elle prend sa place, malhabile, bruyante. Toux de ma fille. Toux inquiétante, traitée au sirop. Visites médicales, visite de spécialiste, sirops.
Toux caverneuse qui va, qui vient comme un coup de tambour, annonçant sa présence, t’irritant, m’irritant. La vie va, se passe , coule dans l’ambiance des jours, dans la trame qui se tisse et fait notre histoire. Train, lecture matinale, boulot, train, lecture vespérale.Famille, tensions, agressivité, détente. Encore quelques pages de ce livre anglais qui n’en finit pas et puis là au-dessus de la x ième page une phrase, un glaive.
«Coughs = Nobody love me.»
Onomatopée, toux de ma fille. L’association se fait immédiate, fulgurante, ma fille, cette toux, cet appel, ce message. C’est un message et non une pathologie, c’est son message de solitude, du fond d’elle même, de son désert, froid, glacé, elle me dit, te dit « Personne ne m’aime »
Le temps a fait son oeuvre. Tout est en place. Le message s’est ancré ballote entre mes tourments et les émotions profondes, déchirantes, de mon insécurité. Fini le ron-ron quotidien, mon boulot fout le camp. C’est fini la routine, le temps organise à tourner en rond pour le plaisir de mes chefs. C’est la chaise musicale finale, l’essentielle. La page se tourne, est tournée. C’est fini, je ne suis plus bureaucrate. Je suis poussé de notre tour d’ivoire sur le terrain de la vraie vie.
Je suis au front. Peur. Insécurité. Fatigue. Je vis doublement le jour, la nuit.
Elle et moi, sommes seuls, ce soir là, proches, l’un près de l’autre, l’un contre l’autre. Je la presse contre moi, submergé par mes sentiments. Je lui parle. Paroles libératrices, ouverture, communication, elle-moi. Sa solitude s’ouvre, se déchire? Sans aucun doute, nous nous rencontrons dans notre essentiel en père, en fille. Dans l’essentiel de son être.Des mots chaleureux, douloureux, s’échappent de moi, le taiseux, le réservé.
Ah ma fille chérie, je la serre. « Je t’aime bien. Tu es ma fille chérie »
Temps fort, temps de grâce, temps qui efface le temps. Je te touche, nous avons été proches. Bonsoir. Va embrasser maman. Et là en sa présence, les mots clés au travers de la porte, au dessus de l’escalier, les mots codes, les mots de vie.
« MAMAN, JE ME SENS AIMEE ». Grâce, grâce.
Ma fille dit sa découverte, son trésor. Parenthèse de deux jours jusqu’au moment ou elle nous dit, après une quinte de toux.
« Mais, je ne tousse plus comme avant » Mieux, guérison! »
Depuis, elle m’embrasse, nous embrasse avec tout son être. Elle est son baiser. Son être est là, contre nous, dans ce contact qui lui fait du bien, qui me fait du bien, qui nous fait du bien. Merci, fille chérie pour cette présence dans ton baiser. Merci de me donner tant de toi, chère fille de me dire que maintenant, si tard, après tant d’attente, tant d’incompréhension, tant de brouillard, le soleil luit en toi, que tu te sens bien dans ta peau, que tu sais être.
Toux signal d’alarme, toux appel, toux feu rouge, merci de décoder, de te livrer. Bouillon de compréhension, d’amour. Tu les auras, ma fille, les papouilles qui te nourrissent, qui te font vivre, exister. Mais quand les aura-t-elle ton amie ou cette femme, cet homme; ces papouilles qui donnent la vie, qui la réactivent.
Les êtres appellent l’amour, souhaitent être aimé réellement et disent leurs appels en code. Toi, ma fille, tu as choisi la toux ? Qu’as-tu choisi mari, femme, fils, fille pour cacher ton désert, ta souffrance, ta solitude, ton manque d’être aimé, d’avoir été aimé. Toute ta peine, ton désarroi est dans un message caché, codé, si difficile à entendre, comprendre, accepter.
Agressivité, froideur, angoisses, boutons, colites. Tout le non-pathologique, serait-il appel?
J’ai besoin d’être aimé. OUI. Mais quel besoin t’appartient en propre.Merci fille chérie de cette leçon de vie, d’écoute. Merci pour cette perception fondamentale qui m’ouvre a ces messages d’un nouveau type, d’un type essentiel. Merci d’oser ces papouilles, de vivre simplement cette chaleur du corps au-delà de la sécheresse de la tête. Merci de ce contact trop souvent réservé aux bébés. Merci à cet auteur, à cette théorie, à ces circonstances qui n’ont dessillés les yeux, ouvert le coeur, donné une vie qui vaut mille vacances et cents milles choses. Grâce d’un soir, grâce de vie, temps d’insécurité, temps de vie, temps d’amour, temps essentiel, cheminement vers le soleil.
Progrès en classe, cette fin de trimestre réussie dans l’accueil des groupes de ta classe, dans tes progrès scolaires, dans les fleurs données par ton professeur alors qu’en début d’année, avant tu semblais rejetée des groupes, des autres vu tes appels, vu ton désert. Nouvelle vie, mouvement en spirale vers le haut, vers le mieux, en famille, ensemble.
(*)Texte écrit lorsque ma fille aînée avait 10 ans