Au cours de l’apéritif je lui avais entendu dire « A l’austère devoir pieusement fidèle ».
Cette phrase faisait résonner en moi une impression de connu. Elle émergeait d’une brume épaisse qui m’avait envahi au cours du temps et je ressentais comme un souffle coupé, une émotion jadis parcourue qui me disait un moment fort.
Interrogée sur l’origine des ces phrases pleines de rythme, elle avoua ne pas en connaître ni l’origine, ni l’auteur.
L’image d’un poisson rare aperçu sous la surface de l’eau me restait en mémoire. Il me fallait revenir dans l’atmosphère des lieux et ferrer l’émotion surprenante et curieuse qui m’avait effleuré.
Par mail, j’avais dû lui redemander la première phrase citée car son contenu était déjà passé dans les oubliettes du quotidien.
Par Google et sa pêche miraculeuse, j’avais mis un contexte à ce bout de vers déclamé le matin.
De nombreuses années me séparaient de ces vers aimés et récités du temps de mon adolescence quand dans mon carnet intime, je les avais recopiés pour en savourer le rythme et l’émotion.
Mais l’austère devoir exprimé par elle était d’un autre genre, du moins celui en surface et j’imaginais ce qui pouvait avoir réveillé chez elle l’expression de ce vers, l’association originelle source de ce contingentement. Pendant près de dix ans, en haut des trois marches du choeur, elle avait battu la mesure des chants de la chorale paroissiale, fidèle et constante pour, par le chant, louer, invoquer l’indicible, et demander son soutien, pour exprimer au rythme des textes sacrés, l’essentiel de notre foi, pour baliser le cycle des célébrations, les souffrances, les joies de notre quotidien engagé.
Dix années de joies profondes, de chemins parcourus plus dans le bénéfice de la paix apportée, me semble-t-il, que dans l’austère devoir.
Dix années qui nous avaient vu prendre de l’âge, nous séparer des uns et des autres ployant sous la faiblesse de leur nature physique et qui nous laissait depuis quelques mois exsangues.
Notre organiste empêchée par l’âge ne nous accompagnait plus depuis des mois. Nous peinions sans repère instrumental pour naviguer dans l’univers musical et sacré.
Pour la première fois, ce jour elle était descendue à notre niveau. Nous resserrions les rangs pour exprimer nos hymnes A cappella. Elle changeait de paradigme passait de la domination, de son savoir et du monde instrumental, pour entrer dans le vrai paradigme celui de la communion où la technique importe peu où l’âme se lance entière et fragile dans une fusion de cœur du plus riche et plus fraternelle.
Le devoir qu’elle s’était donnée d’être chef de chœur passait à la trappe pour se développer d’une manière conviviale en champ du cœur avec ses faiblesses, ses incertitudes et ses ratés, ses fausses notes parfois mais au diable l’artifice technique bienvenue à la tendresse soutenue par nos respirations haletantes, limitées.
Nous étions dans la chair et non dans l’esthétique.
La semaine dernière, un choeur invité dans cet espace chantait a cappella. Il nous avait aussi plongé dans ce genre d’atmosphère, de leur estrade de héraut, en face du public, s’exprimant de la place de ceux qui savent à ceux qui ne savent pas sinon écouter. Ils avaient fait mouvement pour entourer de leurs sonorités, la petite assemblée d’auditeurs nous enveloppant de leurs vocalises, par leur cercle chantant.
Cette fois là, ils avaient quitté aussi le paradigme de la domination pour nous entraîner dans la communion de témoins, nous avaient transposé dans un monde vivant pour nous toucher au cœur et au corps par la vibration de leurs harmonies.
L’austère devoir pieusement fidèle avait été transgressé. Il n’était plus les experts enrobés de leurs savoirs. Ils étaient retournés à la source de leur cœur pour nous entraîner.
Frères humains qui avec nous vivez soyez dans la joie partagée de ce cœur musical multiple pour vibrer simplement et profondément une même respiration, une même expression, un souffle commun.