Est-ce parce qu’une feuille de l’arbre avait frôlé ma joue ou parce qu’elle s’était trouvée à hauteur de mes yeux que j’avais été attiré vers lui. Planté quelques années plus tôt dans un parterre urbain en pleine rue pour limiter la circulation, l’arbre s’était développé lentement. Il manifestait ce jour sa présence.
Surprise, je notais la forme du fruit qui s’exprimait au bout d’un rameau, à hauteur de mes yeux. Celui-ci se relevait vers le ciel, sorte de gland en couleurs douces, en forme de pyramide, Inachevé ou déjà passé car nous étions fin Juin.
En écho, en résonance, mon esprit s’envola vers le jardin de la maison religieuse où j’étais en stage de méditation, bien des années plus tôt. M’était apparu dans le jardin un arbre majestueux dont les fleurs poussant vers le haut, avaient une forme de tulipe.
L’espace ouvert par cette vision était rempli d’étonnement, d’émerveillement. Pour la première fois je voyais une fleur terrestre apparaître comme un objet miraculeux, aérien. La nature m’avait offert après la méditation du matin, pendant la marche lente, un de ses plus beaux fruits, un de ces joyaux.
Un peu après d’ailleurs, lors de cette promenade, en entrant sous un arbre j’avais ressenti la ramure de celui-ci, que j’écartais de la main, comme un manteau qui m’était offert en signe d’amitiés.
Émerveillement profond et durable, objet de toute mon attention, perle que j’avais rangée dans un tiroir de souvenirs et que cette feuille frôlant ma joue remettait à la lumière du jour.
La libre croissance de cet arbre, sans taille régulière, avait permis son épanouissement normal. Il s’exprimait sans contrainte sinon celle de la circulation voisine et des bordures de béton définissant son petit pré carré d’enracinement.
En remontant vers mon domicile, je comparais la vitalité de cet arbre avec celle de ceux de ma rue et la trouvait bien pauvre. Bridés par une très récente taille, ils apparaissait comme des prisonniers privés de leur liberté, de leur croissance. Enfermés dans un programme qui n’était pas fait pour les arbres ils en étaient réduits à vivre une vie de handicapés sous la guidance de jardiniers plus versés dans l’urbanité que dans la mise en valeur de la nature.
Le temps de la floraison de l’arbre était dépassé, je ne pouvais plus mémoriser cette vision par la photo pour en informer mes petits-enfants.
Dans ma carte du monde, l’arbre mystérieux vu jadis dans un parc était à portée de main, je pourrais à chaque floraison admirer sa nature replonger dans la magie des deux jours de méditation avec Anand.
Quelques jours plus tard en remontant cette rue vers le plateau qu’elle ne fut pas ma surprise de constater qu’ils étaient au moins dix de la même espèce, répartis en quinconce le long de la voie qui va de la vallée vers le plateau. Aucune fleur n’était éclose sur ces tulipiers de Virginie, leur période de splendeur était passée.
Déjà certaines feuilles tombaient et j’en ramenait une pour la sécher, pour mémoriser sa forme et pouvoir reconnaître cette essence plantée à proximité loin des espèces locales plutôt attendues.
Les arbres croissaient toujours libres, n’avaient pas encore été taillés, sans doute oubliés par les jardiniers du pouvoir supérieur, car le pouvoir local n’avait pas de droits et de devoirs sur cette artère.
Heureuse pénurie qui laissait aux arbres quelque chance d’atteindre une plus grande splendeur pour agrémenter la vue des passants curieux et attentifs à leur beauté cachée, loin des jeux de stop and go que ces obstacles provoquent chez les automobilistes pressés.