La nuit est chaude, moite, le sommeil me quitte et m’offre un moment de conscience. Les images de l’après-midi me retraversent. La fête organisée par ma fille cadette, pour le départ imminent de mon petit-fils Quentin, rassemble les familles.
Fin de semaine avec ses parents, il va descendre en voiture dans le Midi de la France pour une nouvelle page de son histoire de formation. Le mois dernier, il a été adoubé par ses pairs, le voilà aspirant chez les compagnons du devoir. Il va rejoindre à Gap, le foyer d’accueil où en tant que charpentier, après une nouvelle formation, débutera peut-être son Tour de France.
Avec fierté, il nous montre son bâton, symbole de la marche des anciens, du temps des cathédrales où ils se déplaçaient en homme de métier, à pied.
Lors de la fête, à la maison de Bruxelles, il a reçu ses couleurs, celles des charpentiers symbolisée par une bande de tissu, étroite, verte, à porter en bandoulière lors des cérémonies de la confrérie. Il nous montre quelques motifs brodés sur celle-ci, nous décode celui des outils, mètre et compas. Celui avec 2 personnages sous une inscription en latin m’intrigue.
Par une recherche sur mon smartphone, Je décode rapidement la phrase en latin, les 3 mots inconnus « Noli me tangere » signifie « Ne t’approche pas »
C’est une scène religieuse émergente du passé en cet après-midi de l’Assomption, du 21e siècle. Cette bande de tissu qu’il appelle dans la langue des compagnons « couleur », est devenue alors dans mon esprit, une étole profane, en lien avec celle que je connais, l’étole du prêtre, du diacre, dans la cérémonie de la messe. Ce tissu est le symbole d’une confrérie, il définit les étapes du parcours de l’aspirant, du compagnon, de l’appartenance de ces hommes qui jadis ont fait la gloire d’un pays, le savoir-faire d’une confrérie, l’art dans toute sa splendeur, pour avec respect et dignité porter la cathédrale à sa magnificence tout en sachant craindre, de ne pas s’approcher de celui que l’on honore « Noli me tangere » Dans ma recherche sur le sens de cette icône, celle trouvée chez Maurice Zundel me plaît.
« En demandant à Marie Madeleine de ne pas le toucher, Jésus indique qu’une fois la résurrection accomplie, le lien entre l’humanité et sa divine personne n’est plus physique, mais passe désormais par le lien de cœur et la communion eucharistique.
« Il faut qu’Il établisse cet écart, il faut qu’elle comprenne (et toute l’humanité) que la seule voie possible, c’est la Foi, que les mains ne peuvent atteindre la personne et que c’est du dedans, du dedans seulement, que l’on peut s’approcher de Lui » Le sens de ce message m’est alors clair.Tout n’est pas dans le concret, il y a une vie au-delà de la matière comme dans l’amitié qui peut exister entre personnes.
Au fond mon petit-fils, ne va-t-il pas vivre dans le lieu qui l’accueillera là-bas, une amitié, une appartenance à une communauté qui défend des valeurs profondes, humaines et porter fièrement la devise « Ni se servir, ni s’asservir, mais servir ». Pour les Compagnons du Devoir, le métier ne se limite pas à un savoir-faire : c’est une culture, un savoir-être.
Le voilà adoubé, portant une bannière autour du cou, dans le chemin qu’il va suivre, étape par étape pour entrer dans cette confrérie.
Bonne route cher petit-fils.
PS.
Pour les Compagnons du Devoir, le métier ne se limite pas à un savoir-faire : c’est une culture, un savoir-être. Un métier, c’est une histoire, des hommes, un langage, des écrits, des ouvrages laissés par les anciens. Un vocabulaire particulier s’établit entre les compagnons dont un prévot, et la mère Veillent dans une maison à la qualité de l’éducation des « pays ».