Contrats d’interim.

Comme la sonnerie de mon Gsm était coupée, il m’avait fallu plus de temps pour saisir la vibration de l’appareil dans la poche de ma veste. J’avais manqué l’appel fait par ma fille cadette. Immédiatement, j’avais rappelé et obtenu après deux essais, la communication. La situation semblait particulière, sa voix était transmise de manière hachée et beaucoup de sons parasites s’ajoutaient à celle-ci.

Elle était en train de marcher dans la campagne autour de chez elle pour décompresser, me semblait-t-il. Elle bouillonnait d’indignation, de révolte, d’incompréhension. Elle prit soin de définir le contexte et me dit « Tu n’as rien à voir, avec cela. C’est à cause de mon travail ». Par bribes, quand le son s’améliorait, par répétitions, je prenais en compte doucement les paramètres de son exaspération.

Les contrats d’intérimaire se succédaient mais depuis plusieurs semaines sa paie, les chèques repas ne suivaient qu’au compte-goutte, vu la mauvaise administration de la société qui en était chargée. Le mois dernier, elle avait déjà fait auprès de son employeur la liste de ses griefs mais rien n’avait changé. En ce mois de février, rebelote, elle avait reçu sa paye vieille de quatre semaines et n’avait toujours pas reçu en cette fin de mois, les chèques repas du mois précédent.

Ce n’était pas une question d’argent, me disait-elle. C’était une question de respect. Le mois de retard en devenait insupportable.

Le bruit du vent, accrochait des sons parasites et rendait l’échange difficile, c’en était presque un échange de Sms. Sans fluidité et tout cela dans la tempête émotionnelle et l’inconfort de mon côté car la conversation se passait entre les rayonnages du bricocenter.

Les nombreux devoirs d’exécution, d’horaires qu’elles remplissait avec entrain n’étaient pas reconnu par une rémunération correcte de son travail. En conclusion, une option fit son apparition. Elle ferait part de la situation inacceptable à son contact dans la société et annoncerai qu’elle ne signerait plus de nouveau contrat d’intérim dans ces conditions. Mais une chose était claire, cette décision pourrait arrêter les contrats d’intérim car une société n’aime pas ceux qui ruent dans les rangs, ceux qui indisposent. Si elle ne voulait pas comme on dit, mordre sur sa chique et patienter, injustement d’ailleurs car les tords n’étaient pas de son côté, elle pouvait s’attendre à rester Lundi chez elle. Elle n’aurait pas nécessairement un contrat de remplacement comme elle disait. Apparemment apaisée par la discussion, elle termina la conversation et raccrocha.

La consultation je poursuivais dans ma tête. Les questions se bousculaient. Où était le problème puisque ce n’était pas une question d’argent. Qu’est-ce qui la rendait si sensible à cette situation. Elle était pourtant en mesure d’évaluer comme spécialiste des ressources humaines, la situation complexe et souvent décalée que vivent les intérimaires. Quelque chose de sous-jacent émergeait et poussait la tête. Après un échange de quelques messages, pour clarifier la nature du mail qu’elle allait envoyer à sa responsable, un message le plus neutre possible, l’échange se termina.

Une association me traversa la tête. Février dans notre histoire familiale représentait des moments difficiles, angoissant en ce qui concernent mes contrats de travail. Par deux fois dans le courant de février, j’avais perdu mon emploi.

Dans ses souvenirs d’enfant, elle avait vécu l’angoisse du futur, l’angoisse du père qui reste à la maison et qui vit difficilement la perte de sa situation professionnelle, l’isolement qu’il doit affronter de son entourage, où le silence règne. Comme enfant, elle avait vécu l’angoisse, la peur, la marginalisation de son père. Comme il n’était pas question de parler pour ne pas la charger de mes problèmes en famille, nous n’avions pas évoqué en serrant les coudes la situation, les perspectives, les filets offerts par la société. Quel avait été son mal être, je n’en avais rien su car j’en étais resté muet. Il me semblait à présent que c’était surtout cette mémoire d’une angoisse d’enfance qui émergeait, qui cherchait son sens, un apaisement, une clarification.

Dans un autre message, en quelque mots, je lui exprimais le parallèle entre sa situation professionnelle et la mienne, celle qu’elle avait vécue enfant. A ma grande surprise, elle m’envoya en réponse, pour la première fois, un émoticône, un poing pouce levé, comme pour me dire, c’est les mots que j’attendais depuis longtemps, les mots qui apaisent, les angoisses que j’ai refoulée dans le passé et qui se pressent maintenant pour s’exprimer.

En la voyant souvent insatisfaite dans un travail après un certain temps, en la voyant sauter de travail en travail, j’imaginais qu’elle fuyait devant cette angoisse intérieure construite dans le passé dans un moment où elle n’avait pas pu verbaliser la situation où je l’enfermais.

Deux jours plus tard, un message me confirmait que la société lui avait enfin offert un contrat de remplacement.

A force de changer de travail, d’aller à gauche et à droite, avec toutes ces sociétés, ne cherchait-elle pas à trouver accès à ces émotions passées, à se remettre dans les atmosphères anciennes de fin de travail de son père, pour les résoudre. Elle cherchait une cause ancienne avec un comportement actuel sans la rattacher à l’ancienne situation qui apparaissait maintenant, l’insécurité vivant en elle à cause de son père.

« Ce que l’on ne veut pas savoir de soi-même, arrive de l’extérieur comme un destin. »

N’était-ce pas une fois encore l’expression de ce phrase de C.G.Jung qui trouvait son application et que la parole avait libérée.