Marche à l’étoile.

Sur la place de l’église, un peu après m’être parqué, j’aperçois une dame inconnue. Elle hésite, se retourne, elle est perdue semble-t-il. Je l’interroge. Oui, elle vient pour la marche. Elle est la première à se présenter, d’où son désarroi.

« C’est bien ici « lui dis-je. L’organisatrice est dans la salle de l’autre côté de la rue, elle fait les derniers préparatifs, d’ailleurs la voilà. Elle est rassurée.

Dans cinq minutes les participants vont arriver. Seront-ils nombreux ?

Difficile à prévoir, certains s’inscrivent et ne viennent pas, d’autres ne s’inscrivent pas et viennent quand même. Les pronostics de participation sont difficiles.

D’autres personnes arrivent, je n’en connais aucune. Si celle-là, je l’ai vu l’année dernière.Les autres appartiennent à des cercles différents, éloignées physiquement et philosophiquement de la paroisse. C’est un risque pris par l’organisatrice.

Mais ce jour, le risque majeur est le froid qui devient piquant. Les températures sont basses, négatives de quelques degrés et avec la nuit sans nuages qui s’annonce, elle va encore baisser. Le contraste n’en sera que plus grand. Ma motivation est grande pour aider à l’accueil mais ma santé ne me permet guère d’y participer comme l’année dernière. J’en garde d’ailleurs encore un souvenir profond, sensitif.

Marcher à la nuit tombée dans les champs et la périphérie du village ne m’était plus arrivée depuis des dizaines d’années. J’étais retourné aux angoisses et surprises des jeux de nuit de mon enfance. Un bond dans le temps, un dépaysement profond complet à ma porte. Pas d’heures d’avion, de route à parcourir pour bénéficier du changement, un écart aux habitudes et c’est l’aventure.

Le groupe grandit, quelques-uns se connaissent ils sont venus par groupe, avec un ami, une amie car affronter le groupe n’est pas évident. Il s’agit d’une aventure humaine aussi. Ouvrir des portes risquait une rencontre, un autre univers. Bâtir un lien autre que celui de la méfiance. Je laisse grandir le groupe et me prépare à partir prendre un temps de repos me préparant mentalement à l’accueil du groupe, avec le potage chaud offert après ces deux heures de marche.

Les souvenirs de l’année passée me reviennent, je ressens les émotions qui s’étaient inscrites en moi. Cette marche l’étoile est d’un genre particulier et à du sens . Ce n’est pas physique, je dirais même que c’est métaphysique. Sans doute le corps ressent, a des émotions mais cette démarche ouvre un espace autre,.

Balises de tradition, d’histoires écrites, racontées ou lues sur la crèche. L’adoration des bergers, les rois mages. Comme ce soir l’invitation était a quitter son confort, son nid et se lancer vers une autre rive, celle de la convivialité, de la fraternité. C’est une marche sur les chemins campagnards qui traversent les champs. C’est le silence apporté par la nature car l’itinéraire évite les voies carrossables encombrées et bruyantes. Là l’humain n’a guère de place, s’il n’est pas dans la bulle d’isolement de la conduite rapide, pressée. Ici c’est le rythme des pas qui fait le fond sonore, le chuchotement des voix de ceux qui se connaissent et qui se racontent les uns aux autres. C’est aussi les bruits que l’on n’entend plus, dans le vrombissement de la circulation. La toux, un éternuement, un éclat de voix un rire étouffé. Une exclamation ! L’univers appartient aux marcheurs, assez courageux qui veulent autre chose.

L’air aussi refroidi le visage, caresse le corps qui frileux s’est caché derrière les écharpes les vestes fermées jusqu’au cou. Heureusement la nuit est claire, l’étoile du berger décore le ciel d’un bleu sombre, comme un diamant. Elle brille d’un éclat que seul le calme et la concentration peut aviver. Les étoiles n’apparaissent que plus tard légèrement d’ailleurs car les luminaires le long des routes diffusent dans le ciel un halo permanent, affaiblissant leur éclat. Ce n’est pas la magie profonde apaisante vertigineuse d’un ciel de campagne mais la différence est là s’opérant. Le groupe fluide oscille lentement au rythme des pas, s’étire car déjà les plus alertes ont prit la tête du serpent qui s’allonge de plus en plus . Un bon rythme est nécessaire, le plaisir n’est pas dans la performance mais dans le mouvement constant, ferme qui apaise le mental et qui nous fait quitter peu à peu les préoccupations quotidiennes. La magie de la nuit se met en place, l’agitation s’évanouit de plus en plus. Dans mes doutes, mes hésitations je suis un chercheur de sens, je me relie aux générations précédentes qui n’avaient pas notre confort technique, nos moyens de communication.

Je me laisse bercer par le rythme des pas. Quelques hésitations dans le groupe de tête, est-ce par ici qu’il faut prendre vers la chapelle où un récit, un chant nous attend pour faire la pose quelques minutes, le temps de se réchauffer, de prendre un moment d’intériorité simplement.

Nous sommes déjà sur le chemin du retour, les maisons se suivent mais le calme règne, à cette heure les habitants sont cloitrés derrière leur écran, derrière l’univers factice de leur soirée, agitée souvent.

Nous, chercheurs de sens, de sensations, nous poursuivons la route, vers le point d’accueil où nous attends un potage chaud. Simple halte qui nous ramène à l’essentiel de la simplicité, un fois, un jour par an, sous le regard de l’étoile.