Dans le petit groupe de 9 personnes qui s’était réunis en soirée autour de son projet MLC voix, nous avions échangés en premier abord nos prénoms en les chantant. Cette manière d’agir me plaisait. Pour un échange plus vrai, dans le groupe naissant, cela nous ouvrait l’espace d’une rencontre conviviale.
Après une longue période d’une activité sociale, j’avais retrouvé l’énergie suffisante que pour oser m’inscrire. Prendre la peine d’aller « là, où la peur me dit souvent de ne pas aller ». Peur de perdre ma sécurité, peur de découvrir des émotions enfouies. Peur de l’inconnu, de rencontres superficielles ou déroutantes par leur diversité et par les questions que les échanges me posent en me sortant de mon inertie, de mes brouillards quotidiens.
A sa manière, l’animatrice avait construit notre parcours de trois soirées, pour nous mettre en présence de nos possibilités cachées car dès l’inscription s’étaient mis en place le thème qui allait nous tirer de notre passivité, de nos eaux tranquilles et peu aventureuses.
La photo à choisir ouvrait le champ des possibles.
Un premier obstacle avait été franchi, celui de ma présence et celle de ma fille cadette. Séparément, sans consultation réciproque, nous avions pris nos inscriptions. Qu’allait être ce moment de cohabitation, dans un même espace, dans une ouverture à des domaines que l’on se réserve, à ses zones protégées. De la voir cheminer, ici et ailleurs, je n’en gardais aucune opposition, aucune crainte. J’acceptais ce choix du destin qui allait nous rapprocher, sans doute, pour un bénéfice certain qui un jour ou l’autre apparaitrait. Ce n’était pas la fatalité qui m’accompagnait mais plutôt la certitude que c’était pour le bien être de notre système familial, pour un avenir plus ouvert, plus fécond.
Nous semions. Il y aurait un jour, une récolte.
C’était donc avec confiance que je m’étais lancé dans ce qui était surtout une aventure intérieure qui reprenait vie après deux années d’hibernation suite à des ennuis de santé.
J’allais débloquer ce frein qui s’était mis en place et me plongeait dans une immobilité nocive. Repartir dans l’aventure intérieure, revivre à nouveau, ajouter de la qualité à mes jours et non pas des jours à ma vie, en vivant peureux et caché en boule dans ma tanière. Oser poser la voix dans ses notes de base, à la recherche d’un timbre qui un jour avait été bridé. Instinctivement, je ne pouvais plus exprimer des notes et je retombais dans une expression comme un souffle. Un seuil s’était installé un jour.
La force du groupe, l’harmonie de celui serait sans doute un soutien, un déclencheur pour aller plus oultre dans mon expression.
La qualité musicale de l’animatrice soutenait la démarche du groupe et était propice à nos vocalises. Par celles-ci, il fallait détendre le corps comme à la MLC, utiliser les balles, les rondins, les bâtons pour modifier les mouvements, les assouplir, pour voler, de branche en branche, comme des oiseaux, de plus en plus libre, de plus en plus ouverts. Il fallait s’élever, être plus léger que l’air, se lancer modestement sans doute, chacun selon ses contraintes dans les notes de la gamme.
Dépasser ces ukases d’enfance qui me classait dans « ceux qui appellent la pluie », plus que dans la légèreté et l’harmonie.
La colonne en appui sur deux balles en mousse, m’avait déjà ouvert à la vocalise commune qui s’élançait dans la gamme, toute simple. J’avais été touché par une succession de notes spontanées qui en écho, m’avait fait frissonner de joie en revivant le chant profond et jadis inconnu d’une artiste, chant que celle-ci tirait sans mots, des profondeurs de son talent. « Recuerdos de la Alhambra. »
Il fallait, je m’en rendais à nouveau compte, avoir la spontanéité de l’enfant, chercher à s’exprimer, dépasser les jugements souvent négatifs, à raison parfois, par manque de techniques, de justesse. Il fallait laisser les émotions confinées, par de nombreuses tensions, se libérer dans l’accueil du groupe, allongés sur le sol ou réunis en cercle, dans une expression chaleureuse, sans souci de performance.
Mouvements de grâce, trop rares, trop tardifs en ce qui me concerne pour chanter la joie d’être vivant, malgré la chaleur accablante de cette période de canicule.
Lors du dernier chant, nous sommes debout. L’animatrice est là, à mon côté, pour redresser cette note qui peine, qui ne sait pas monter, s’approfondir, devenir pleine et entière avec le groupe. Ma voix peine, ma respiration n’est pas assez ample. Je suis rouillé, un peu trop sans doute mais j’ai bon espoir, l’obstacle semble franchi, je fais quelques pas dans l’harmonie.
Je suis venu, j’ai chanté, j’ai passé un seuil.
Un chemin s’est ouvert, une voie nouvelle, une nouvelle voix ?