Bulle(s)

Depuis des mois, le mot bulle est entré dans notre vocabulaire ordinaire, d’une manière intempestive, gênante même car il symbolise notre pouvoir sur la pandémie. Ce mot pourtant semble signifier dans mon quotidien bien des niveaux différents.

Le premier, le plus courant, le plus immédiat aussi est celui qui concerne le lien social, la relation avec autrui. C’est la dimension qu’il convient d’appauvrir en la limitant. Finies les bulles sociales de la famille élargie, de l’amitié, de la société. Dans l’ordre du nombre, c’est la foule et sa promiscuité, c’est le volume fermé qui rassemble pour la culture, la convivialité autour de la table, le supermarché(quoique), le tram, le bus. Tout ce qui est nombreux doit être banni, finie la variété, il faut limiter les interactions sociales et les réduire comme ils nous conseillent, à quelques privilégiés, sa bulle. L’audition, la vision directes sont bridées, limitées. Ainsi notre bulle familiale, sociale est-elle isolée des autres. Le confinement apparaît alors comme réussi. Nous sommes passées de quelques uns, à l’un, l’unité, le moi. Robinson sur son ile déserte et la contagion qu’il pourrait représenter s’efface. Pourtant ce confinement, cette nouvelle manière d’être, de vivre m’a bousculée, nous a bousculé tous les deux, dans notre bulle couple, celle qui dans ses attributs est systématiquement dans le sens non pas de l’ouïe, de la vue, mais de la sensation, du toucher.

La notion de  « Free Hug »  me traverse l’esprit. Il a traversé la société, fait le sensationnel, la démarche innovante, de celui qui annonce avec sa pancarte annonciatrice «Free hug ». L’accolade gratuite d’un inconnu qui nous entraine dans le domaine non codé ou très codé de notre sensation. Ce n’est pas la poignée de main, la main sur l’épaule, l’accolade codée d’une nomination, de bienvenue dans certaines circonstances. Ce n’est pas celle de la parentèle ou du cousinage utilisée pour un salut d’accueil pacifique au nom d’une généalogie qui se veut vivante. Ce n’est pas la bise de l’univers familial.

Le deuxième, c’est lors du hug familial, non pas la forme rapide, fonctionnelle mais le hug profond qui engage l’entièreté de la personne et qu’il faut ranger dans la catégorie intime, discrète et publique. Tous n’en sont pas capables, tous ne la pratiquent pas.

Qu’est ce qui fait sa spécificité, sa fragilité, son état. Mystère qui me traverse depuis le début du confinement et qui me renvoie à ma source lors du portage, du portement lorsque ma mobilité n’est obtenue que par la dyade dans l’espace nourricier. Comment en décrire la nature, dans ce no man’s land de la parole, des mots. Rien n’est culturel, c’est une zone approchée par l’haptonomie, plus que par le massage qui n’est qu’à sens unique par principe, qui n’engage que la mécanique, la pression, le frottement huilé. Couche profonde de l’intimité qui ne se risque qu’en surface pour, par symétrie, rencontrer une autre intimité qui se risque à tâtons pour la conjonction. Intention pure de part et d’autre pour oser le mouvement d’un toucher profond et réciproque, de nos bulles, dans l’instant, sans mémoire de ceux nombreux qui n’ont pas été bien vécus avant.

Sensations de part et d’autre qui s’avancent comme une onde, douce, tendre. Sensation d’existence, crée par cette opposition douce qui revient en reflux, sans vainqueur, ni vaincu, heureuse sans opposition, entièrement libre, primale. Légère et subtile, comme deux bulles de savon qui s’accolant doucement, légèrement, se donnent l’une à l’autre, existence et présence. Vibrations qui se doublent rendant l’un et l’autre témoin, d’une espace nouveau et fragile fondé sur la confiance. Touché subtil, profond, précieux qui ouvre un espace d’accord simple, tendre et profond.

Bulle rencontre qui ouvre la perspective d’une présence subtile apportant la paix et la joie, à la mesure de la délicatesse prise pour la manipuler, la porter un peu plus loin, un peu plus près, simplement, doucement, tendrement.

Saut quantique.

L’article était déjà passé sous mes yeux ce Mercredi et je l’avais mis dans la pile de ceux que je me proposais de lire. Mal m’en prit car ma mémoire n’a plus la rigueur d’antan.  C’est seulement en repassant les journaux à mettre aux vieux papiers qu’il retomba sous mes yeux et que finalement je le parcouru. L’interview me touchait profondément car il me renvoyait à une session faite plus tôt qui m’avait fait découvrir un poète breton Guillevic.

Le poème que le frère Bernard-Joseph, le moine d’Orval(*) rencontré il y a deux ans, rappelait, fut comme un coup au cœur.

C’est quand tu chantes pour toi

                              Que tu découvres pour les autres 

                               L’espace qu’ils désirent.   

Une porte se rouvrait, d’une profondeur que ce samedi, je n’aurais guère imaginée. Une vague d’émotion m’envahit, larmes de joie, en écho de ces quelques mots semés par le journaliste en conclusion de son interview. Il n’était pas question pour moi, du chant vocal, comme j’aime à le faire le plus souvent possible dans la petite chorale qu’avec bonne volonté, les derniers survivants, essayent de maintenir à la surface de l’eau. Non, c’était dans le registre des deux mots nouvellement découvert, qui m’avaient été proposés par un collègue lors d’une séance de travail à la photothèque :  l’oraison jugulatoire. 

Les chants de groupe participaient de cette classification. Une expression dont le mental a disparu pour être remplacée par l’harmonie du chœur, de la pulsion individuelle qui cherche à rejoindre le tout qui se crée. A l’image du pigeon qui entre dans le rythme du vol de ses congénères et qui abandonne son ego pour un ensemble plus grand, plus immatériel.  

A la manière dont la coque de la noisette est brisée par le casse-noisette, d’un état premier, l’on passe sur un autre état. Le geste devient ici nourriture terrestre, sans doute mais vision d’une nourriture essentielle. D’une orbite à une orbite différente, à autre chose. C’est quand je m’enthousiasme pour une découverte qui m’a pris par le cœur en me passant d’un état dans un autre qui lui est différent, que j’offre à celui qui m’entend, qui est en phase, la voie et le chemin, pour que lui aussi se positionne et tente l’expérience du passage d’état.                                        

Avec mes petits-enfants, j’essaye souvent de leur proposer ce chemin que j’appelle le saut quantique, le saut d’orbite pour les ouvrir sur un nouveau possible, sur une interprétation qu’ils pourraient envisager et qui les change de leur position antérieure.

Pour cela il faut que ma joie, ma découverte fasse un sens profond pour moi, qu’elle soit issue de mon tréfonds, pour par sa qualité et son énergie, passer au-delà de l’intellect qui souvent comme filtre construit des protections, des préjugés. Si mon message, mon expérience est passée de conscience à conscience, c’est dans leur visage que j’en percevrais l’écho.

Me voila ce matin, face à une proposition de relecture, des voies que ce poète, que les poètes proposent, questionné sur ce temps de confinement qui sera un poids à nouveau, une engeance, si je n’ai pas l’ouverture sur cette pulsion intérieur qui m’invite à autre chose.

Chasser l’être ancien, pour en faire apparaître l’être nouveau qui pourra par contagion apporter à son entourage la force d’aller sur d’autres chemins, qui nourrissent, qui ouvrent à d’infinis possibles.

                                    L’espace qu’ils désirent.               Une porte se rouvrait, d’une profondeur que ce samedi, je n’aurais guère imaginée. Une vague d’émotion m’envahit, larmes de joie, en écho de ces quelques mots semés par le journaliste en conclusion de son interview.Il m’était pas question pour moi, du chant vocal, comme j’aime à le faire le plus souvent possible dans la petite chorale qu’avec bonne volonté, les derniers survivants, essayent de maintenir à la surface de l’eau. Non , c’était dans le registre des deux mots nouvellement découverts , qui m’avaient été proposés par un collègue lors d’une séance de travail à la photothèque :  l’oraison jugulatoire.

(*) https://www.tvlux.be/video/autre/societe/-le-silence-est-d-aoor-orval_30996_328.html#

Symboles dentaires.

Mon petit-fils devait en ce premier Août, être anesthésié totalement pour des soins dentaires. L’orthodontiste n’y allait pas de main morte pour éliminer ce qui semblait faire problème. Toute une histoire apparemment surprenante en dehors de mon champ de connaissances. Apprendre que l’on pouvait avoir une dent surnuméraire ne m’avait jamais touché sinon dans son sens symbolique  » avoir une dent contre  » . Adage qui traînait de mon enfance pour marquer une animosité nette contre quelqu’un.

Lui avait une incisive qui poussait derrière les autres et qu’il devait éliminer pour que l’ordre règne dans sa mâchoire supérieure. Là aucun commentaire c’était pour son bien. Heureusement, ce n’était pas visible. Il me semblait opportun de l’enlever sans réserve.

La deuxième dent faisant problème était la dent numéro 15 qui poussait à l’envers. Encore une notion nouvelle pour moi, une dent qui perd le nord, s’oppose aux autres et fait cavalier seule. La chose était connue dans la famille car ma fille en avait parlé plusieurs fois. Le sens de poussée inverse de cette dent était-il fréquent ? Rien n’était dit, ni écrit.

Elle s’était informée auprès des spécialistes en symbolique et cette attitude avait été attribuée à l’histoire du grand-père paternel qui avait eu des problèmes de lignée. Un événement traumatique le concernait. Comme la parole ne circulait pas de son côté, les faits s’étaient perdus chez eux, rien ne faisait problème. Les événements se suivaient et s’oubliaient. Pas question d’en faire mémoire, de se tracasser à ce sujet.

Pour aborder cette matière, j’avais parcouru la littérature, emprunté un livre à ma fille pour essayer d’y trouver un sens mais la complexité et les nuances apportées leur donnaient presque raison. Tout était problème, rien n’était simple. Le sens développé par Estelle Vereeck était intéressant à connaître. Ne valait-il pas mieux s’en servir pour apporter des éléments d’amélioration des changements dans les attitudes pour un bien-être plus important.

La piste symbolique apportait de la matière et je me promettais de reprendre à nouveau un livre à ce sujet pour suivre au mieux les événements familiaux de mon passé et de ce qui se jouait sous mes yeux.

Apparemment le sens caché des problèmes dentaires n’était pas praticable, c’était compliqué si par impossible de tirer un enseignement et par son histoire, de conforter les affirmations de ces spécialistes des symboles et du sens des choses. Nos actes nous suivent sans doute mais ne faut-il pas peser, évaluer, discerner et était-ce si simple ? Les contextes familiaux, les circonstances de la vie n’expliquent pas tout, donnent sans doute une tendance, un renforcement.

L’orthodontiste enlevait pour remettre sans doute de l’ordre mais en créant un trou dans l’alignement de la mâchoire. Par contre l’élimination de deux dents de sagesse en supplément, me semblait faire partie d’un choix économique. La faculté dentaire semblait animée d’un consensus.

« Elles ne servent plus à rien, ne viennent pas quand on les attend et alors les faire disparaître au prix de la mutuelle. C’était simple. A la valeur symbolique de l’opération, le tableau était différent.

Le petit-fils avait donc en ce premier Août perdu quatre dents et était rentré à la maison, joues gonflées, pour une semaine d’alimentation liquide. Pour moi, le pauvre avait souffert à moitié inutilement.

La même semaine, ma mâchoire par sympathie sans doute ou touchée par cette attaque frontale symbolique, perdait sa dent numéro 15, jadis montée sur pivot.

Nous voilà replongé dans l’histoire des générations mais de la mienne, de celle de mes parents aussi sans doute mais qu’en savais-je encore. Mes dents 14 et 15 avaient souffert pendant mon adolescence du même symptôme, d’une faiblesse transmise inconsciemment et qui ressortait chez mon petit-fils. Il n’y avait pas que le côté du père qui était touché, le côté de la mère l’était à travers moi. Le petit-fils était interrogé sur ses lignées grand-paternelles.

Il me fallait l’admettre, de ses deux fils, je me sentais plus proche du dernier, de l’opéré qui avait un tempérament proche du mien. Peu agressif, proche de sa mère et le plus gâté comme l’aurait dit ma grand-mère maternelle.

Était-ce le rapport à la mère ou au père, cette série de dents à droite. Je parcourais activement les pages Internet. Que représente cette rangée de dents celle de 11 à 19, le père ou la mère ? Ma fille avait préféré s’adresser du côté des pères protégeant le côté mère trop souvent engagé par sa responsabilité, dans la littérature, disait elle.

Ma lecture me ramenait au côté mère. N’était-je pas très proche de ma mère dans mon adolescence normée, protecteur surtout après la mort de mon père et en plus le modèle du côté des tantes. En regardant mon petit-fils dans son rôle de second, j’ai remarqué aussi ces caractéristiques, ne laisse-t-il pas à son frère aîné le côté frondeur, briseur de règles comme moi je l’avais fait avec mon grand frère, m’affirmant moins que lui, le laissant ouvrir les portes et bousculer les certitudes.

C’était là pour moi le parallélisme dentaire avec le petit-fils. Au lieu de me séparer nettement du côté mère, je jouais au protecteur. Était-ce dans ce sens que l’image forte et joyeuse de ma fille un jour matin me traversa au réveil, en une sorte de rêve, pour me présenter son fils cadet.

Réponse à mon questionnement, hypothèse d’une réalité s’exprimant et place de fils dans une relation, plus que dans une conquête de la vie sociale et ses perspectives. Association de la dent 15, parallélismes de comportement, absence du père qui ne sépare pas le fils de la mère pour l’envoyer en exploration sur les chemins du monde.