Le film suivait le retour d’une réfugiée juive en Autriche, pour récupérer un tableau de famille volé lors de la dernière guerre.
Des retours en arrière fréquents retraçaient les événements tels qu’ils avaient été pour elle bien des années plus tôt. Cette alternance passé-présent m’avait secoué au point que le film était devenu insupportable. Je l’avais quitté tant l’émotion me submergeait. Des images personnelles m’avaient alors assailli. Un film de mon passé se rejouait et des images enfouies remplaçaient celles de l’écran de télévision éteint. Je n’imaginais guère la force de celles-ci, la prégnance qu’elles avaient encore en moi, comme si le scénario n’était que d’hier. Vingt ans pourtant que les scènes s’étaient déroulées.
Après une période de travail longue de 12 ans, je m’étais retrouvé un après-midi sur le trottoir devant le bâtiment, ma serviette, avec mes effets personnels, en main. Ma vie de travail là-bas s’était terminée par un préavis avec effet immédiat. J’entrais dans un nouveau monde, sans attache, sans repères avec le spectre du chômage comme perspective. A 55 ans, se refaire une place au travail est une performance incertaine, précaire, sinon impossible.
Au fond, c’était un peu comme un accouchement, j’étais mi-bas de ce building sur la terre ferme. Là derrière les vitres tous mes ex collègues, et moi seul sur le trottoir sans espoir de retour. Les prémices de l’événement étaient passées au travers de mon entendement, je n’y avais vu que du feu. Selon mon point de vue, j’étais là, définitivement jusqu’à la pension fonctionnant dans les habitudes et le mode de pensées de cet univers particulier.
Physiquement une brique me pesait sur le ventre, un malaise profond m’avait coupé, l’élan de vie. J’étais sans voie, dans l’incertitude autant qu’un nouveau-né qui vient d’être accouché peut l’être. Attachement d’un côté, arrachement et coupure d’un cordon ombilical. Quitter le connu pour l’inconnu.
Mon ressenti s’était replongé par ce film, dans des émotions primaires, derrière une cuirasse bâtie au cours du temps.
L’idée de la matrice périnatale de Stanislas Grof devait y être pour quelque chose. Sorte de Rebirth pour retraverser la barrière, un jour franchie, revisiter le traumatisme oublié pour en dissoudre les tensions, les énergies, pour récupérer les forces mobilisées pour lutter pour étouffer ces perceptions qui ne faisaient pas sens.
Passage d’une matrice d’eau à une matrice d’air.
À la MLC, l’idée de la « cuirasse de la mère » avait été suggérée. Faisait t-elle sens ce jour, dans mon ressenti ? Non ! C’était plus mon corps qui venait de perdre sa protection et qui apparaissait nu. C’était le champ morphogénétique me reliant à l’univers qui m’avait entouré et dont j’étais éjecté.
Deux jours plus tard, après cette sortie brutale, en passant en voiture le long du bâtiment, j’en avais ressenti le magnétisme, l’attirance, le souhait de retrouver le confort tranquille que je venais de perdre, retrouver la collègue qui partageait mon champ visuel depuis trois ans, mon double presque, dont les mains avaient tremblé quelques semaines plus tôt sous le champ d’une colère profonde en moi, suite à un différend important avec mon supérieur, cinq minutes plus tôt. Magnétisme indéfinissable irrationnel combien physique me reliant à elle, à ce corps social, mon univers, des dernières années. Lien puissant qui mit des années à s’estomper au point que deux années après, il m’était presque impossible de pénétrer avec d’autres collègues d’une autre entreprise qui m’avait engagé malgré l’âge, dans cet univers ancien.
Comme cette réfugiée qui revenait dans son pays et qui avait les plus grandes difficultés à faire abstraction des anciennes blessures et des liens construits jadis.