Coeur blessé.

L’éclaircie lumineuse de ce dimanche venteux et pluvieux ne va pas durer. Une horde de nuages s’annoncent déjà à l’horizon, côté sud-ouest. La parenthèse climatique bleue sera de courte durée, juste le temps de faire le tour du quartier, au sec. Les nuages couvrent à présent l’entièreté du ciel, dans les cinq minutes la pluie sera de retour, battante car les nuages sont noirs comme ceux qui les ont précédés.

Je suis à la frontière du monde, des mondes. Peut-être !.

Ici, c’est plus agréable, l’air frais me stimule, la pluie qui arrive aussi. C’est une ambiance différente d’il y a un mois quand j’arrivais aux urgences angoissé, la peur au ventre. Quelque chose ne tournait pas rond. La nuit avait été difficile, ma respiration était haletante, je manquais d’air.

La salle des urgences était déserte, j’étais le seul à solliciter des soins.

J’entrais dans un monde médical, monde inconnu, mais connu par les récits de mon aînée infirmière dans un tel service, là, deux ans plus tôt, à une heure de route.

Ma santé basculait dans un autre monde, passerelle pour la vie, passerelle pour la mort, entre deux espaces dont je ne connaissais que le premier. J’avais la chance de ne pas avoir vécu la crise si bien décrite dans les récits, les clips qui circulent sur les infarctus.

Douleurs aiguës dans la poitrine, douleurs montant dans la mâchoire, douleurs dans le bras gauche. Je n’avais rien connu de cela, la crise était survenue lentement, assourdie, assouplie par ma respiration et mes effort de détente comme à la gymnastique douce.

L’indice majeur de ma crise, je l’avais ignoré parce que je croyais, illusoirement que cela allait passer. Pourtant cette envie de vomir, en un jet, en était l’indice ,je l’avais ignoré, inconscient.

Depuis mon corps me fait peur m’inquiète, je crains une défaillance sournoise, inopinée. J’ai, d’une certaine manière, été trahi par sa faiblesse, l’état piteux dans lequel je l’ai mis, faute de soins adéquats, de prévention. Je n’en avais qu’un et j’ai manqué à mes devoirs de soins.

Je suis une sur une passerelle qui tremble, qui me conduit peut-être vers la fin de ce monde que j’ai tissé longtemps et qui m’échappe. Qu’elle sera l’indice clé qui viendra me prévenir d’autre chose, d’une récidive peut-être ?

Trois artères coronaires faisaient ma richesse et j’en ai perdu une. Définitivement. Mon cœur n’est plus à présent que l’ombre de lui-même. J’en ai perdu la moitié. C’est ce qui est écrit sur ma fiche d’hospitalisation – 50 % –

Je suis un cas parmi d’autres un patient de passage vers l’autre monde peut-être ? De toute manière vers un autre mode de vie à trouver, à baliser.

La technique de soins est bien rodée, les cardiologues posent des stents rendant vie aux artères, les ouvrants vers d’autres possibles, vers des nouveaux modes.

Dans la salle de revalidation nous sommes dix occupés à l’effort, à remettre en santé ce qui était un ami si fidèle, ignoré malmené, tellement discret et silencieux. Les uns pédalent, d’autre marchent sur un tapis roulant , Ceux qui n’ont pas d’engin s’exercent aux machines de musculation pour les bras ou les jambes et cela pendant une bonne heure. Les visages sont sérieux et appliqués. Tous avaient mis un pied au-delà de la limite, sans y passer toutefois.

Nous sommes des rescapés silencieux. Des morts vivants essayant de récupérer une forme affaiblie par un traumatisme, une trahison corporelle.

Rebâtir des limites retrouver une forme, la meilleure possible, dans l’effort. Apparemment cahin-caha, le cœur tient sa promesse de vie. Ce n’est plus un monde d’insouciance, de plaisir sans mesure, d’escapades diverses. Une épée de Damoclès nous suit prête à nous faire passer, à nous envoyer ad patres.

Dans mon paysage, il y a un mur à ne pas franchir, une rivière à ne pas traverser, une barrière à respecter. La frontière de l’autre monde est là bien concrète.

N’ai-je pas déjà transgressé la limite par mon inconscience ?

Trois jours par semaine, je rejoins le groupe de patients en revalidation, pour renforcer par l’exercice, ce cœur qui pompe encore malgré la nécrose définie par le cardiologue. Votre musclé nécrosé ne participe plus entièrement à l’effort, à votre pulsion de vie, même si vous avez le cœur à l’ouvrage si vous connaissez par cœur les bonnes habitudes de vie, le bon régime.

J’appartiens au monde des survivants car malgré mes doutes, mes angoisses, j’en suis revenu, je suis de retour, pour en parler à cœur ouvert, malgré le serrement de cœur qui m’a laissé orphelin de cette artère. Ce n’est pas la bouche en cœur que j’en parle, c’est le cœur serré car je dois faire contre mauvaise fortune, bon cœur.

Mon entourage est bienveillant, attentionné et parfois de tout cœur avec moi, c’est certain. Mais qu’en perçoivent-ils !

Peuvent-ils me réchauffer le cœur? J’en aurais bien besoin, au cœur de mon angoisse, la nuit quand des insomnies n’assaillent. Ce n’est pas rien.

A qui vider mon cœur, mes doutes, mes incertitudes.

Mon cœur invalide, inerte pour moitié ne me soutient plus dans l’effort extrême, dans les taches ingrates du quotidien et ce cri de cœur qui l’entend exactement.

 

Et puis haut les cœurs, il me faut quitter toute morosité pour participer à la vie à laquelle j’appartiens toujours. Je ne suis pas encore dans l’autre monde, il me faut à chaque occasion rire de bon cœur, avoir un cœur de lion contre l’adversité, faire mes exercices physiques à cœur pour renforcer ce qui me reste et voir le verre à demi plein au lieu de me fixer sur le verre à demi vide du monde où j’ai failli trépasser.

M’en donner à cœur joie, avoir le cœur sur la main, ouvrir mon cœur.

De gaieté de cœur, rencontrer ceux qui mettent du baume au cœur, les optimistes, les battants.

Oublier qu’au cœur de la nuit, j’ai parfois des sueurs froides, le cœur gros d’un passé révolu. Ah ouvrir mon cœur à l’instant !