En attendant d’acheter un vélo statique d’appartement, je passais deux fois par mois à la revalidation cardiaque de la clinique. Garder la forme, maintenir un niveau suffisant d’activité physique était mon leitmotiv. Ma santé méritait bien cela.
Le nombre de patients était ce jour limité, la file d’attente par appareil raisonnable, j’avais d’ailleurs interrompu un exercice de musculation pour occuper le vélo qui venait de se libérer, près du tapis roulant dans le coin près de la fenêtre.
Mon choix était toujours le même, le programme 5. Un long temps d’efforts constants, suivi de trois pointes de puissance chacune d’une minute, chacune suivie du même temps de repos avant d’entamer le programme décélération et la fin de l’exercice.
Après quelques minutes d’exercice, je constatais sur le tableau de bord une icône inhabituelle qui apparaissait dans le coin supérieur et le chiffre de la fréquence cardiaque déjà à 115 et au milieu du chiffre un petit cœur rouge clignotant.
Nouveau réglage sans doute car la fois précédente, je ne l’avais pas remarqué. Un mois avant portant la bride cardiaque autour de la poitrine, j’avais testé, vérifié cette fréquence et fixé ainsi la limite de mes efforts, en toute sécurité pour ne pas créer plus de mal que de bien.
Des efforts oui mais tout en restant dans ma zone de confort, dans ma zone sans risque. Un deuxième incident cardiaque pouvait s’avérer fatal.
Ce chiffre devenait subitement le point de mon intention, de ma curiosité car je n’avais pas la ceinture ad hoc.
J’étais en zone de palier, efforts constants indiqués et malgré cela le chiffre s’élevait lentement, il était à 120 à présent. Mon inquiétude grandissait. Comment était-ce possible ? Y avait-il un autre programme d’efforts dans la machine, avec la mesure de la pression des mains par un capteur. Je lâchais le guidon pour m’assurer de l’existence de ce capteur. Après quelque temps, je ne constatais pas d’effet. Le chiffre venait encore de monter d’une unité.
Mon étonnement glissait vers l’interrogation, vers l’inquiétude. Y avait-il un algorithme entre la vitesse de rotation du pédalier et l’effort demandé ?
Par prudence, je baisais par un moindre effort, le nombre de tours par minute du pédalier, passant de 60 à 55 tours pour mesurer l’effet sur le chiffre sous le petit clignotant rouge. Après quelque temps celui-ci ne faiblissait pas, il était à 124 battements par minute, puis passé au moment où je le fixais avec étonnement à 126.
Petit gradient de différence, différence minime mais vu mon état ce n’était pas souhaitable, il fallait que je prenne des mesures.
Mon inquiétude se transformait en panique, j’étais presque passé dans une zone rouge. Presque.
Les mois passés défilaient dans ma tête, j’étais replongé dans l’angoisse d’un nouvel infarctus en train de se préparer. Mon cœur s’affolait et cette petite icône de cœur qui clignotait, qui clignotait.
Le chiffre était à présent à 130. Le maximum que je m’étais autorisé.
J’étais scotché au chiffre, obnubilé par ce clignotant rouge.
Je réduisais à nouveau mon effort, ramenait paniqué le nombre de tours par minute à cinquante. Soulagement passager, le chiffre était en train de baisser s’affichait à 128. Je n’étais plus dans le rationnel mais dans l’affolement.
Petit écart mais suffisant que pour m’éloigner de la zone rouge.
J’avais perdu tout contact avec l’environnement, j’étais dans un trip d’angoisse, le chiffre résonnait dans ma tête. Il fallait que je décélère encore que j’apaise cette escalade, peut-être même était-il temps de réclamer l’aide au kiné qui nous surveillait. J’envisageais de m’arrêter de pédaler.
Le compteur était à présent à 126, je m’éloignais du danger, 124, le seuil de crise était passé. 120, je retournais à un chiffre acceptable presque normal. La courbe était franchement descendante. Je retrouvais un peu d’assurance.
Alors que bien souvent entre voisins on s’explique peu, mon compagnon dans l’effort quitta l’engin nommé écliptique à ma gauche, engagea la conversation. M’avait-il averti ? Était-ce mes neurones qui refonctionnaient à nouveau ? J’étais trop perturbé pour le savoir. Mais la réalité m’apparu.
Mon compteur était l’effet de la ceinture cardiaque que le voisin portait et qui via bluetooth, s’affichait aussi sur ma machine. Je vivais l’effort de mon voisin. Sa ceinture informait le capteur des machines voisines car il n’y avait pas une fréquence propre.
J’étais dans l’univers Internet des objets connectés sans le savoir, univers dont on parle de plus en plus et dont on ignore les facéties.
Univers qui m’avait donné bien des sueurs froides, une angoisse propre à me faire rechuter.
Il ne me restait plus qu’à en rire.