Duos de printemps.

Cet après-midi, la session de partage à l’association, à propos de nos deuils, se terminait. Il était temps d’en arriver à la conclusion, d’en tirer l’essentiel, d’ajouter ce qui n’avait pas encore été dit.

Pour conclure, je ne pouvais que partager mon étonnement à propos de la journée de ce début de printemps, de ce temps de paroles qui ravivait le souvenir de ces moments déchirants que nous avions traversé chacun à propos de notre enfant. Ces heures de partage de l’après-midi, s’opposaient à celle de la matinée, à la rencontre de ma fille cadette.

Poussée par je ne sais quelle information, quelle motivation, elle avait souhaité nous voir, après son petit déjeuner et vers 10heure, elle avait poussé notre porte.

Les deux périodes s’opposaient nettement à présent, l’une représentait le présent de la vie qui continue dans la relation que nous vivons, l’autre représentait le souvenir du temps de mémoire de celle qui nous avait quitté si violemment.

Ce matin, nous avions échangé quelques propos au sujet de la fête de famille où mes trois enfants, étaient présents et constaté qu’à cette date, sur la photo regardée, mon aînée avait toujours l’avant bras droit dans le plâtre, plâtre qu’elle portait suite à son opération de l’épicondylite. Opération qui aurait du la soulager et l’aider à se remettre en selle.

Nous avions échangé sur cette affection qui se portait à présent chez ma plus jeune sur le bras gauche et qu’elle soignait, elle par des séances de fascia thérapie.

Somatisation familiale indicible qui cherchait sa solution, sa délivrance.

Le sens qu’elle y mettait, n’était plus présent dans ma mémoire.

Est-ce que je ne voulais plus le voir, l’entendre. Je n’en gardais que la notion du système familial qui souffre de ses inhibitions, des valises qui sont apportées par les lignées des pères et des mères.

Dans sa réflexion de sœur endeuillée, elle poursuivait son chemin et me disait que pour ces douleurs au bras, elle ne ferait pas d’infiltration, comme faisait sa mère, qu’elle refusait la médication de ses maux et poursuivrait sa thérapie corporelle de mieux être.

Après le diner, alors que je faisais ma sieste où peut-être même avant, elle avait profité d’un échange discret pour me dire qu’un fond de tristesse lui avait été transmis par moi, le coté père et qu’elle le ressentait à présent. Elle travaillait avec je ne sais qui, le fait que je ne  lui avais pas transmis des éclats de joie, empêché par une sorte de fidélité familiale, où la joie était mise sous le boisseau.

Et c’était vrai, de mon côté, dans mes gènes familiaux, il y avait eu beaucoup trop de sérieux, peu de léger, de joyeux, que les pintes de bon sang n’étaient guère mise en valeur.

Son passage avait été marqué par une séance de jeu et nous avions comme deux potaches, joué au « 94 », jeu de devinettes à points et de niveau à conquérir qu’elle venait d’installer sur ma tablette.

Démonstration de joie de vivre dont elle voulait faire mémoire et par laquelle je m’étais trouvé un peu désorienté. Une de mes cuirasses de famille avait été ébranlée et en me levant à la fin du jeu, ma rigidité s’était fissurée au point de perdre l’équilibre. Sorte de tremblement, de réajustement des tensions intérieures.

Que penser de ces moments relationnels et de mémoire qui s’opposent, lors de cette journée de printemps ?

Me mettre en phase avec le courant de la vie, rester ouvert à la demande présente, pressante, qu’elle a une place dans ma vie, de tous les jours, que les moments de jeu ont autant d’importance que les moments de mémoire.

Qu’un travail intérieur est nécessaire pour accueillir les différentes facettes de la vie, que le deuil en s’exprimant par des rituels, des moments de paroles, n’est pas le seul aspect du quotidien, qu’il a sa place, son espace et que les moments de joie sont à cueillir comme les fleurs de la primevère printanière que nos mains ont emportées, à la fois pour fleurir l’absent, mais dans une juste balance, pour fleurir les vivants.