Buxus sempervirens(*)

DSCF6390En arrivant chez ma plus jeune fille, j’observe que sur un de ses gros buissons en buis à l’entrée, la couleur verte est devenue jaunâtre sur quelques rameaux à la dimension d’une main. Est-ce une attaque des chenilles de la  pyrale qui ravage cette végétation ? En plongeant les mains dans le buisson, je n’y trouve pas de ces bestioles voraces qui donnent naissance à ces papillons. C’est sans doute un champignon. Je la mets en garde. « Informe-toi , auprès d’un bon jardinier. Je ne sais ce que c’est. »

Surprise, à ce moment, je découvre derrière la couche de verdure, un espace sombre, ramifiée sans feuilles. Elles ne poussent qu’en surface à la lumière. Logique ! Pourtant cette impression n’est pas neutre. Elle me poursuit. Mes pensées se suivent, tournent autour de cette impression. Sous cette couche de vie, tout est oublié, mort et pourtant basique. Les rameaux vont chercher leur nourriture dans l’arborescence, vers le pied, dans la terre. Des bouts de branches anciennes sont recouvertes au fur et à mesure par les neuves et leurs feuilles. Cycle de vie, le nouveau couvre l’ancien, le vieux s’efface pour le jeune, puis décline. Je décline. Ma roue de destin a tourné, je vais passer sous la couche de vie, perdre lentement mon contact avec l’effervescence de la vie.

Cette semaine même curieusement, j’attends de l’imprimeur la version papier de ma généalogie. Un des exemplaires sera imprimé pour elle et mes petits-fils.

Analogie, comme ce buis, ce document cherche le sens de la vie, ma vie sans bruit et sans trop de vagues, discrète. Elle s’est écoulée et la jeune génération battante va, après celle de mes enfants, être en première ligne. Sur l’arbre du « Nom » repris dans ce document, les générations se sont succédées, -Naissances, mariages, décès. – Ce document n’est rempli que de cycles presque comme une abstraction, une peinture neutre, distante.

Un principe fondamental pourtant y règne, la vie se transmet de père en fils, de mère en filles, dans ma quête d’informations depuis douze générations. Comme dans ce buis, il n’en reste que les trois dernières couches et bientôt une génération sera dans le noir, l’obscurité, le flambeau de la vie transmis.

J’ai assuré mon rôle dans cette immense chaîne qui se perd dans le temps, j’ai été maillon, je m’efface et pourtant je cherche à laisser un témoignage de mon combat pour que cette vie qui m’a été confiée dure le temps nécessaire. Ma roue a tourné, je commence à m’épuisé.

Quelques anecdotes particulières témoignent dans cette généalogie en surface, des faits visibles dont les traces sont encore dans les archives. N’y est pas l’essentiel même. Qu’est-ce qui motive dans tous ces ancêtres la fécondité de leur vie, car dans cet espace de temps, de nombreuses branches n’ont pas toujours donné des fruits. Apparemment le « Nom » n’a pas été transmis par toutes les branches, effacé des fois par celui du conjoint, où passé dans le célibat. Exemples d’extinction, exemples d’entropie. Quelles sont les valeurs essentielles qui portent cette vie personelle, le temps de son expansion, à la fois l’altruisme, le courage, l’audace, l’éveil d’un enfant miracle du vivant livré à son expression.

« Comment peux-tu passer ton temps avec tous ces morts » me dit un jour mon épouse. Sans doute y a-t-il une part de vérité. Suis-je à la recherche d’une certaine immortalité, d’un élixir de vie. Plus sans doute de cette boisson magique qui fait que chaque jour qui s’ouvre est un jour de vie. Quelle est la formule qui fait que tout se met en route chaque jour.

Illusion qui ne voit pas qu’un déclin est en cours, sournois, bien présent. De le savoir n’est pas la meilleure façon de profiter de la journée reçue à l’aube. Dans cette généalogie, il y avait aussi la disparition du père à mes 20 ans porteur de mémoire, de son temps. Il n’avait pas pu m’accompagner, me transmettre ses valeurs, son acquis. En cherchant je voulais remplir ce vide, cette béance imaginaire. Mais notre relation aurait pu ne pas être ou être conflictuelle. Je voulais comprendre le sens de cette disparition prématurée de l’homme dans ma proche ascendance comme l’avait mise en évidence mon beau-frère en pointant, au cimetière un jour de Toussaint, l’absence d’un arrière-grand-père dans la tombe familiale. Disparition prématurée des hommes au cours des générations. Essentiel que j’y mette les mots, que j’efface ces non-dit qui nous empêchèrent de profiter pleinement de la vie. Lucidité du dire que la parenthèse se ferme dans un jour de plus en plus proche, comme la fin d’un voyage.

Autre perspective de cette généalogie. Elle m’a ouvert à la psychogénéalogie et à l’épigénétique dont les bases récentes se mettent en route, outil au profit des générations suivantes.

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Nom scientifique du buis commun. Symbole en même temps de l’amour, la fécondité et la mort, à l’image du cycle de la vie. (Dictionnaire des symboles – J.Chevalier -A.Gheerbrabt -Bouquins-Robert Laffont/Jupiter- page 152)