Armé du sécateur, je découpais les dernières branches de l’arbuste qui cachait la pergola en façade. Encore quelques feuilles à ramasser et le petit travail de nettoyage se terminerait.
Une pousse particulièrement vigoureuse du rosier attira mon attention. Oui vraiment son indépendance me gênait. Il me fallait l’associer aux autres, la brider fortement. C’était nécessaire.
Pour effectuer l’opération, j’avais pris une brosse pour délicatement la déplacer et l’insérer entre ses voisines. J’essayais vainement de la pousser un peu plus loin, sous les deux autres qui allaient la retenir et l’envoyer pousser vers le parterre.
L’exercice simple en soi, m’obligeait à faire une sorte de ballet pour tenter de lui imposer sa direction de pousse. À plusieurs reprises et délicatement pour ne pas la plier ou la casser, ma brosse se baladait dans l’espace.
Le bon mouvement était trouvé. Elle avait prit la place souhaitée et s’alignait parallèlement à la route. Pour terminer ce travail, je m’étais placé sur le trottoir quand une camionnette genre berlingot quitta le parking en face en montant sur le trottoir pour s’approcher de moi.
Conductrice en perdition sans doute cherchant un renseignement, une adresse.
La jeune dame qui conduisait s’arrêta à ma hauteur et baissant sa fenêtre me dit.
« Je vous avais vu, il y a deux minutes, en difficulté avec votre brosse et comme de profil vous aviez un certain âge, je m’arrêtais pour proposer mon aide. »
« C’est vrai que j’avais des difficultés avec cette branche du rosier mais le problème est résolu. »
» Excusez moi, je vous vois maintenant de face et vous m’avez l’air plus jeune. »
« Ne vous inquiétez pas pour moi je tiens toujours la route. »
Sa sollicitude amicale et spontanément m’avait réjoui. Je prenais l’incident comme un gag, comme un moment magique de rencontre, sans jugement à propos de la mesure de mon âge, de mes forces, de mon habilité peut-être.
C’était une coïncidence joyeuse basée sur un quiproquo mais surtout animé chez elle d’une vivacité plaisante sans complexe.
« Vous habitez la rue ? »
» Non, avant j’habitais dans la cité un peu plus haut mais plus maintenant. »
Ce petit moment de rencontre valait bien un peu de curiosité.
Garder le contact le plus longtemps possible, profiter de cette parenthèse de convivialité me semblait utile.
L’air était devenu léger. Ces quelque mots avait changé l’écoulement du temps. Ce n’était plus la banalité de la tache qui primait, c’était le temps de cette rencontre légère inattendue qui m’envahissait.
Qu’est-ce qui faisait la magie de ce moment. L’inattendu mais aussi j’étais au centre d’une attention bienveillante. N’était-ce pas l’essentiel.
« Votre B.A., ce ne sera pas pour aujourd’hui avec moi. Merci de votre attention »
La conjonction prenait fin. Sa méprise sans doute la poussait à reprendre la route.
Je n’avais même pas noté la couleur de ses yeux. Seule la couleur blanche de son véhicule m’apparaissait maintenant. Ma mystérieuse partenaire d’attention jardinière s’en allait comme un oiseau qui s’envole effrayé.
Sera-t-elle un jour encore en face de moi. Mystère ?
L’interaction étant tellement vive, si fugace, j’avais perdu un peu pied. Comme un tourbillon, elle reprenait son élan fit demi-tour dans l’entrée de la maison d’en face et rapidement remonta la rue accompagnée d’un grand salut de ma main et de mon sourire.
J’avais par mon balai, avec ma brosse, mes cheveux blancs, arrêté une messagère, le temps d’un instant.