Prisonniers de guerre.

Dans une parenthèse de rangement, à l’étage dans mon bureau, mon attention se fixa sur la place incongrue d’une ancienne photo familiale. Elle n’était pas au bon endroit, détachée d’un album ou errante, elle aurait dû être dans la boîte à photos, dans l’enveloppe de l’année. L’ancienne photo présentait ma grand-mère, ma cousine Ghislaine partageant un moment de joie, avec mon frère aîné âgé d’un an et avec pour compagnons deux moutons, dans le pré devant la maison de la grand-mère. C’était probablement au printemps 1944. En lui cherchant une place dans la boîte à photos, je pris conscience que quelques-unes n’avaient pas de sens pour l’histoire familiale ; comme un paysage, un monument, un souvenir de voyage, un voisin ou un notable à une fête locale. De plus, un grand nombre d’entre elles n’avaient pas au dos d’indications pertinentes.

En retournant machinalement la photo non rangée, que je datais par l’âge de mon frère, qu’elle ne fut pas ma surprise, en plus de la mention au bic du nom des personnes, de découvrir une adresse inscrite au crayon. C’était celle du camp de prisonnier où était passé mon oncle à cette époque en Poméranie et la mention de son A.K (Arbeit Kommando) au Stalag IIB. Un cachet presque effacé manifestait l’action de contrôle de la censure. 

Avec stupeur, je comprenais que la photo avait été faite par mon père pour renforcer les liens avec son frère cadet, prisonnier et que la censure lui avait permis de la recevoir. Apparemment cette photo gardée précieusement était revenue aussi au pays, avec lui en 1945 probablement.Étonnement ! Mystère ?  Comme si une vibration entretenue par un sujet local faisait résonance sur un événement du même type, dans d’autres circonstances. Synchronicité !

Mon article, au cercle d’histoire locale, à propos du courrier de deux prisonniers de guerre, tourné vers des personnes extérieures inconnues, ravivait en moi le désir d’en savoir plus sur ma propre histoire familiale, celle de mon oncle.

J’avais la semaine dernière fait un courrier à mes cousins pour solliciter les informations manquantes au sujet de leur père Georges conscrit, devenu prisonniers, les interrogeant sur leurs archives et de toutes informations telle que sa date de retour, son périple .Rien n’avait filtré par l’héritage de ma grand-mère.

En plus au hasard de la recherche internet, conduit par mon intuition, j’avais encodé à tout hasard, l’adresse de l’époque de celle-ci et obtenu la preuve d’une démarche d’un cousin pour retrouver un lien vers ceux en Allemagne où il avait travaillé. Y avait-il eu un succès, une information rapportée par celle-ci. En 1965, la démarche semblait possible.  C’était l’année qui a suivi celle du décès de mon père. Y avait eu une ouverture, un couvercle levé permettant de retourner au passé ? Mystère, le puzzle commençait à se préciser. Une ou 2 pièces étaient disponibles.

Que réservait l’avenir ? Peut-être en saurai je plus, bientôt.

Au fond dans l’échange entre familles et prisonniers il n’y avait pas que les colis, les lettres, il y avait aussi des photos montrant à ceux qui étaient bien loin des moments de famille propres à leur donner des périodes d’oubli de leur triste sort et comme des bouées, ces photos leur permettaient d’affronter le quotidien.

Lettres de prisonniers de guerre.

Est-ce parce qu’ils sont revenus vivants qu’ils se sont mis, après cette brisure de vie, en marge de la société, qu’ils ont été muet sur ce passé, qu’ils sont rentrés dans l’anonymat sans une « Rue à leur nom », simplement inclus dans l’Avenue des prisonniers de guerre.

La page a été tournée à leur retour, la vie a repris ses droits.

Quatre ans de sa vie dans un bagne, ce n’est pas rien. Quelle absence dans une histoire familiale. Qu’en reste-t-il, dans les générations suivantes ?  Des traces qui émergent de l’oubli familial ?

 Ils ont quand même perdu non leur vie, mais quatre ans de convivialité et de rencontres. Pourquoi cet abandon de mémoires ?

– Au décès du propriétaire, ancien prisonnier de guerre, la maison a été vendue, avec son mobilier, par les héritiers. Il n’a pas d’enfants. 

L’acquéreur trouve dans les tiroirs d’une commode, une enveloppe contenant des lettres écrites, 40 ans plus tôt. La correspondance du propriétaire à son épouse, alors qu’ils étaient séparés par la guerre.

Puis ce classement par l’acquéreur, en attendant. De fil en aiguilles, les lettres aboutissent au cercle d’histoire.

Après quelques mois de guerre, le retour de l’exode, la correspondance avec les prisonniers s’était établie, sans doute, sous les effets des efforts de la Croix-Rouge.

La voie postale fonctionne sous conditions, de messages limités, dans la longueur, sous un format défini. Une censure stricte limite les sujets souvent réduits, non à la vie du camp ou à la nourriture, mais à des projets des souvenirs, des petits mots d’encouragements.

Rappeler à ceux qui sont loin, les espoirs de changement de vie, enfin quand la guerre sera finie. Souvent la famille proche, des amis sont cités. Quelques noms apparaissent venant du tissu social, discrètement.

Un échange de colis semble possible d’abord, puis régulier, surtout avec le temps qui passe,

Colis qui allègent la vie au camp, là-bas.

–  Curieusement, à cette série de lettres par le courrier existant, un autre ensemble de lettres me parvient ; celles d’un officier inconnu. Lettres abandonnées, par le locataire de l’appartement d’un ami.

Lettres d’une autre nature, plus dans la clandestinité. Les petits mots sont cachés dans les colis qui s’échangent. Message d’un officier à sa bien-aimée. Seul le prénom de l’élue est noté. Aucun indice ne permet de le situer lui, le prisonnier. Lettres sur du papier à cigarettes ou du papier gras, d’une écriture fine. Lettres d’espoir d’une vie commune à établir dans le futur. Lui n’est pas abandonné comme pas mal de ses pairs. 

La relation se maintient platonique avec sa fiancée, Francine qui l’attend. (*)

Deux univers de prisonniers bien différents, l’un identifié, l’autre inconnu.

Tranches de vie volées, dans le passé, dont le souvenir se perd, dans les tiroirs.

(*) https://corpssensations.org/2022/05/25/le-prisonnier-inconnu-2/

Noli me tangere

La nuit est chaude, moite, le sommeil me quitte et m’offre un moment de conscience. Les images de l’après-midi me retraversent. La fête organisée par ma fille cadette, pour le départ imminent de mon petit-fils Quentin, rassemble les familles.

Fin de semaine avec ses parents, il va descendre en voiture dans le Midi de la France pour une nouvelle page de son histoire de formation. Le mois dernier, il a été adoubé par ses pairs, le voilà aspirant chez les compagnons du devoir. Il va rejoindre à Gap, le foyer d’accueil où en tant que charpentier, après une nouvelle formation, débutera peut-être son Tour de France.

Avec fierté, il nous montre son bâton, symbole de la marche des anciens, du temps des cathédrales où ils se déplaçaient en homme de métier, à pied.

Lors de la fête, à la maison de Bruxelles, il a reçu ses couleurs, celles des charpentiers symbolisée par une bande de tissu, étroite, verte,  à porter  en bandoulière lors des cérémonies de la confrérie.  Il nous montre quelques motifs brodés sur celle-ci, nous décode celui des outils, mètre et compas. Celui avec 2 personnages sous une inscription en latin m’intrigue. 

Par une recherche sur mon smartphone, Je décode rapidement la phrase en latin, les 3 mots inconnus « Noli me tangere » signifie « Ne t’approche pas »

C’est une scène religieuse émergente du passé en cet après-midi de l’Assomption, du 21e siècle. Cette bande de tissu qu’il appelle dans la langue des compagnons « couleur », est devenue alors dans mon esprit, une étole profane, en lien avec celle que je connais, l’étole du prêtre, du diacre, dans la cérémonie de la messe. Ce tissu est le symbole d’une confrérie, il définit les étapes du parcours de l’aspirant, du compagnon, de l’appartenance de ces hommes qui jadis ont fait la gloire d’un pays, le  savoir-faire d’une confrérie,  l’art dans toute sa splendeur, pour avec respect et dignité porter la cathédrale à sa magnificence tout en sachant craindre, de ne pas s’approcher de celui que l’on honore « Noli me tangere » Dans ma recherche sur le sens de cette icône, celle trouvée chez Maurice Zundel me plaît. 

« En demandant à Marie Madeleine de ne pas le toucher, Jésus indique qu’une fois la résurrection accomplie, le lien entre l’humanité et sa divine personne n’est plus physique, mais passe désormais par le lien de cœur et la  communion eucharistique. 

« Il faut qu’Il établisse cet écart, il faut qu’elle comprenne (et toute l’humanité) que la seule voie possible, c’est la Foi, que les mains ne peuvent atteindre la personne et que c’est du dedans, du dedans seulement, que l’on peut s’approcher de Lui » Le sens de ce message m’est alors clair.Tout n’est  pas dans le concret, il y a une vie au-delà de la matière comme dans l’amitié qui peut exister entre personnes. 

Au fond mon petit-fils, ne va-t-il pas vivre dans le lieu qui l’accueillera là-bas, une amitié, une appartenance à une communauté qui défend des valeurs profondes, humaines et porter fièrement la devise « Ni se servir, ni s’asservir, mais servir ». Pour les Compagnons du Devoir, le métier ne se limite pas à un savoir-faire : c’est une culture, un savoir-être.

Le voilà adoubé, portant une bannière autour du cou, dans le chemin qu’il va suivre, étape par étape pour entrer dans cette confrérie.

Bonne route cher petit-fils.

PS.

 Pour les Compagnons du Devoir, le métier ne se limite pas à un savoir-faire : c’est une culture, un savoir-être. Un métier, c’est une histoire, des hommes, un langage, des écrits, des ouvrages laissés par les anciens. Un vocabulaire particulier s’établit entre les compagnons dont un prévot, et la mère Veillent dans une maison à la qualité de l’éducation des « pays ».