Montgolfière

C’est sans doute le thème abordé par Jeanne Benameur pour son nouveau livre qui avait suscité en moi un intérêt pour une lecture à faire rapidement. Le sujet avait été abordé superficiellement lors de son passage à « la grande librairie » puis j’en avais lu quelques commentaires sur un site de librairie pour en confirmer les repères. C’est alors qu’une vague d’émotion profonde m’avez envahi. Moment catalyseur.

Le titre « La patience des traces » était comme une synthèse explicative de la demande dans laquelle je venais de  plonger par l’effondrement de mon « bivers », univers d’écriture que j’avais conduit au cours du temps sur des fichiers électroniques, plutôt que de le faire sur des cahiers d’écriture. 

J’avais eu la plus grande confiance dans la modernité pour continuer le chemin patient du déchiffrage de ce que était mon expérience, à la fois personnelle et ouverte qui me conduisait dans mes profondeurs personnelles et dans celle de la famille dont j’étais issu. 

Le lent décodage qui s’était effectué pour donner du sens à mon quotidien allait être effacé par une défaillance de cet univers immatériel en qui j’avais confiance.

De nombreux textes de découvertes, d’échanges de surprises allaient droit au néant avant que je n’aie eu le temps de les sauver à l’ancienne dans un recueil faisant sur noir sur blanc.

Expérience d’une vie que ma partie observateur avait patiemment décodée pour alléger la fatalité qui semblait avoir pris ma possession. 

Les bribes de lucidité dont le fondement avaient été dévoilées dans une expérience décrite dans le texte intitulé ; Re-naissance.

Invitation bouleversante pour un chemin à suivre pour alléger les valises qu’ inconsciemment l’univers avait imprimé en moi, dès avant le jour de ma naissance et pas seulement en moi mais aussi dans ma progéniture.

N’était-ce pas cela, le sens de la vie dans le défilement des jours, ouvrir les portes insoupçonnées pour une vérité plus grande, une légèreté agréable et un bilan de vie apaisée avant d’entrer dans l’inconnu où les jours nous emmènent, inexorablement. 

S’envoler légèrement, tâche d’individuation accomplie. S’envoler en libérant mes proches de ce lest qui les plaquent au sol et donc je leur ai aveuglément et involontairement chargés.

« Les parents ont mangé des raisins verts et les dents des enfants sont agacées. « 

 lit-on dans la Bible.

Un travail personnel, à chaque génération, est nécessaire pour prendre la vie à pleines dents, non dans une errance sur tous les continents, dans une fuite éperdue, sans sens. L’aventure la plus passionnante étant, la mise à profit dans son terroir, en traversant la rue, de l’ouverture aux « Moments » qui immanquablement apportent les indices, les impulsions nécessaires à ce voyage possible, paisible, dans l’air de son temps.

Traces

C’est la main de « Qui ? »

Une phrase lue dans le livre « Thésée, sa vie nouvelle.* » me transperce le cœur, perce la brume qui envahissait mon esprit depuis des années. Simplement, elle posait la question et rejoignait mon interrogation. Rester dans la douleur de la séparation, pleurer sur l’absente sans doute, mais ne fallait-il pas aller plus loin que la couche d’émotions qui comme un torrent tourbillonnait, me poussant, m’acculant dans la nasse de l’aveuglement. Était-ce la culpabilité qui l’avait construite, celle qui empêchait la lucidité. Était-ce une appropriation trompeuse pour me protéger.

Ma chatte vient de sauter sur la table ou je commence a écrire, se frotte contre mon visage, demande mon attention.  A-t-elle percé mon désarroi, ma souffrance profonde. S’empresse-t-elle, de me soigner, de me distraire ?

Dans ce livre que j’ai tant attendu, commandé sur base d’une note lue dans une chronique littéraire, ce livre que j’ai parcouru par petites étapes, m’a replongé dans ce questionnement qui reste sous-jacent. Est-ce la fatalité qui a conduit ma fille à ce geste ou un enchainement implicite dont elle a été la victime, raptus qui s’est construit dans la lignée et qui un beau jour, la puissance atteinte,  éclate à travers ce geste insupportable.

« Qui a commis le meurtre de celui qui se tue ! »  phrase qui pose clairement le questionnement et ouvre une voie, non celle de la culpabilité mais de la lucidité.

Qu’est ce qui s’est passé dans l’enchevêtrement de ses difficultés, dans sa bulle familiale, dans son univers professionnel. Il fallait disséquer le temps, le sien, celui de ses géniteurs, celui des générations disparues qui avaient patiemment évité ou construit des barrages pour empêcher de voir, pour ne pas ressentir. Malédiction qui se perpétue dans les générations et dont les traces sont perdues, dans le labyrinthe des non-dits. Des secrets, des loyautés mal emmanchées, déviées, des rancœurs accumulées, de tout ce qui divise, dans le temps. Paroles données, paroles trahies, comme celle qui m’a traversée  à l’été avec force au point de me faire trembler sous toutes les coutures.

Corps tremblant, d’un effroi, glaçant qui trouve sa source dans le mystère, la trahison des partages familiaux qui gomment la valeur de l’un, de l’autre, bouc émissaire des rancœurs familiales. La curée qui laisse des profondes blessures sur la personne désignée.

Comment mettre des mots sur ce qui n’a plus, de points d’appui, sur ces forces intérieures qui ont perdus la visibilité, sur la trace qui permettrait de poser le diagnostic et la thérapie. Tout est hypothèse sur ces silences, ces trahisons, et seule la force aveugle fait sens. Lignées des pères, lignées des mères.

Est-ce ma recherche inlassable d’une généalogie traditionnelle, mon intérêt pour la psychogénéalogie qui est indicatrice d’un problème que je transporte malgré moi. Est-ce dans les oracles, les avatars de mon existence, les signes curieux qui se sèment sur mes pas que se projette l’ombre qui s’agite en moi ? Est-ce la pulsion insensée, forte qui un jour m’a traversé sur le bord d’un quai à l’approche d’un train. Pulsion maitrisée, point d’interrogation marquant un non-dit transgénérationnel. Occlusion transportée inconsciemment. Le labyrinthe évoqué par le titre du livre, en comporte-il d’autres ?

L’arrière-grand-père dont le nom n’apparait pas sur la tombe familiale, dont mon père ne nous a jamais parlé pas plus que de l’oncle, demi-frère de son père est, comme le signe du point aveugle qui montré, ne se voit pas,  bandeau sur le problème. Il dit tout sauf à celui qui devrait le lire. Comme je le retrouve dans la série « En thérapie », pour le pays qu’un patient refuse de voir et qui est affiché dans les souvenirs de famille.

Tombe inconnue. A-t-il cet ancêtre, été victime du droit canon qui excluait à cet époque de la terre sainte autour de l’église, les suicidés ? Ou simplement a-t-il été dans les derniers enterrés dans le vieux cimetière autour de l’église avant la création du nouveau au bord du village, quelques années plus tard. 

Et ce flash avec le fils adolescent en révolte qui mime, au-dessus de l’escalier, pour m’impressionner, la corde autour du cou.

Dans mon environnement des signes s’agitent, cette série TV « En thérapie » me remue comme me remue le livre de Camille de Toledo. « Thésée, sa vie nouvelle. »

Et ce souvenir de mes premières années de collège quand mon père plaçait dans ma mémoire les mythes grecs qu’il avait étudié au collège et qu’à présent je me remémore : « Le minotaure, le fil d’Ariane, le labyrinthe, Thésée. » 

Comme si à cette époque déjà une interrogation l’animait sur les non-dits qu’il avait reçus de ses ascendants, sur les recherches basiques de sa généalogie ?

Signes de son questionnement, qu’il me transmettait et qui à ce moment-là n’avait pas le nom de psychogénéalogie, et que je retrouve ces jours-ci.

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Agitation, ruptures et peurs

 Pour acquérir un sommeil réparateur, ce Dimanche soir, j’avais compté les gouttes de somnifère sensées me garder endormi toute la nuit. Sans surdose, juste une portion XXL nécessaire et je pensai suffisante. Il n’en fut rien. Mon sommeil coupé de retour à l’éveil, rempli d’images inhabituelles dont je ne gardais pas la trace, fut agité comme les deux nuits précédentes. Dans mes phases d’éveil, en grande conscience, des pensées insolites toutes reliés à mon fils, se succédaient dans l’ordre ou le désordre, s’enchainaient, se coupaient, repartaient dans une autre direction. Tout tournait autour de la relation qui fût la nôtre, par comparaison à celle qu’il entretenait avec son fils, me rejetant dans celle que j’avais eu avec mon père, à l’âge de mon petit-fils.

Quel était le message qui ainsi me parvenait dans ces moments ? Quel en était le sens ? Par où commencer pour en tirer, pour la lignée, le plus grand bénéfice. Après le calme, la tempête, après ce long confinement la turbulence émotionnelle, le télescopage des idées inattendues, de comparaisons, d’associations.

Mon Smartphone y était pour quelque chose. Le geste incongru de le poser sur le coffre arrière du cabriolet, devant le spoiler, avait déclenché le scénario qui n’en finissait pas de revenir à la charge, comme pour montrer l’importance que ce geste avait pris dans les jours qui s’écoulaient.

L’idée principale ou plutôt un des thèmes qui me traversait était le symbole de cette équipement indispensable de communication. Ne nous mettait-il pas en relation avec la famille, le cercle d’activité, d’amitiés. L’aîné de mes petits fils en rendant service avait pris la voiture et emporté en plus des cousins, cet engin attaché à son chargeur. Aucun passager n’avait remarqué ce double objet incongru sur le coffre arrière. Avec mon fils, cote à cote comme jamais avant, penché sur un problème, nous avions repassé le quart d’heure d’activité, sur la vidéo surveillance supposée protéger l’atelier et le loft des voleurs et oui, constaté que l’objet était bien là au départ de la voiture. Il avait donc accompagné le véhicule et était certainement tombé en cours de route.

Nous étions proches, présent l’un à l’autre dans une recherche qu’il conduisait adroitement. Comme deux policiers sur une enquête. Ce fait m’avait touché. Lui qui était souvent distant, peu loquace, occupé à courir si pas pour son travail, pour sa passion des anciens véhicules, toujours sous tension dans une quête qui m’étonnait.Il était présent concentré sur la filature de la voiture. Un peu plus tard il prenait la route, à pied, pour ne pas manquer l’objet sur le trajet supposé pris par la voiture un peu avant, malgré la fatigue de la journée. Avec son fils, à tour de rôle, ils avaient appelé le Smartphone, puis sur le chemin régulièrement pour l’entendre sonner et à la dixième tentative, comme l’indiquait le répertoire des appels, quelqu’un avait décroché car il avait ramassé l’objet au bord de la route. Heureux hasard encore, c’était un habitant du village voisin à qui il avait demandé de déposer l’objet chez ses ex-beaux-parents, proches voisins.

Tout est bien qui finit bien.

Non, ce n’était guère le cas car des associations m’avaient traversées. Au réveil, dans les brumes d’une conscience qui va se remettre en roue, dans le plus grand désordre une prise de conscience était en train de se faire, elle concernait la lignée des hommes, leur relation à l’environnement, des mots clés de leur vie. Ce n’était pas rien cet incident, il me renvoyait à la communication père- fils, la relation entre mon petit-fils et son père, celle entre mon fils et moi, celle que j’avais vécue entre avec mon père. Trois couches différentes, trois expériences vécues au niveau de la communication, des rôles de pères. A la dernière réunion familiale, par hasard, le jour avant le confinement, à l’apéritif, je m’étais trouvé jaloux de voir,  mon petit-fils et ma petite fille, alternativement sur les genoux de mon fils, dans une tendresse et un plaisir évident, d’une proximité partagée. 

A leur âge le sevrage devait pourtant être fait et je m’étais mis dans la tête de pointer ce comportement qui n’avait plus sa place. Puis ce souvenir fit écho ce matin là avec mon histoire. Moi aussi j’avais été comme eux, proche de mon père toujours prêt à nous entrainer dans les moments littéraires de ses études jusqu’au jour où à 10 ans (presque l’âge de mon petit fils) la pension nous avait séparé. Nous avions été trahi, abandonné mon frère et moi, dans cet immense collège froid et austère loin de notre campagne et ses activités.

Avec mon fils, je n’avais pas eu sa présence, ni cette relation forte que je voyais entre eux sous mes yeux. Nous étions bien plus distants. Et ici j’avais vu aussi mon petit-fils, sur les dents, pour apporter sa contribution, n’avait-il pas appelé le gsm de son Patou. Ne s’était-il pas mis en quête de l’objet. Cet événement actuel me semblait à présent, plus appartenir à une histoire familiale. L’idée d’une perte, d’une rupture, d’un éloignement symbolique se mettait en place.

Quelque part, ne craignait-il pas la perte d’une relation avec le père, image transgénérationnelle de celle qui avait été, en mon temps, un deuil profond qu’inconsciemment, je leur avais transmis. Symboliquement, ne s’agissait-il pas de ce secret que je portais en moi et qu’ils essayaient par leurs efforts d’apaiser, de guérir.  Le sens de la perte s’affichait clairement à présent dans mon agitation mentale.L’orage nocturne était passé, m’apportant ce message inattendu. 

Hier au téléphone, en commentant la journée passée chez lui, mon fils avait relevé le caractère symbolique de cet incident dépassant la lecture de premier niveau. Il voyait un sens magique au déroulement de cette recherche qui se terminait étonnement, m’invitant à la lire symboliquement, a reparcourir l’événement quand une forte émotion m’avait submergée. Emotion qui m’avait envahie aussi quand j’avais appris que le confinement allait commence.

Qu’avait été pour moi la porte du pensionnat, sinon la rupture du lien familial, l’éloignement et l’isolement dans un milieu inconnu et froid qui me fait encore frissonner quand résonne dans ma tête le bruit des pas des internes longeant les murs pour rejoindre au deuxième étage la solitude du dortoir. N’avais-je pas été à l’âge de mon petit-fils, confiné une première fois en pension, avec mon cordon ombilical  coupé comme l’était maintenant mon lien virtuel avec mon téléphone portable.

Tiens déjà, avec mon fils, depuis la conversation est plus joyeuse, plus légère, je le sens plus proche. Le cadeau qu’il m’a fait de forcer le destin, d’être acteur, alors que je m’apprêtais a passer l’affaire à pertes et profits, lui avait été efficace et trouvé le remède changeant en plus notre relation. Habitant loin, n’était-ce pas plus simple pour lui de s’écarter de ce deuil que j’avais été incapable de faire. 

Alors d’ou vient que la camionnette qu’il a vendue à son copain, et qui  circule dans mon village, toujours couverte de ses coordonnées, de sa publicité et ses numéros de téléphones. Solidarité entre potes pour épargner le père ?

Est-ce que le deuil non fait avec mon père, ma colère à son sujet, s’est transmise inconsciemment et s’est symbolisée par la distance entre nos lieux de vie ?

E puis cet incident cardiaque qui le menace, le rendant fragile de ce coté comme moi, comme mon père. Moteur de vie qui risque de basculer s’il n’y prend pas plus garde comme cela s’est passé pour mon père.

Histoires de liens, mis en péril dans la lignée des pères.