Clé de linteau.

La tension due au confinement diminue, les mesures d’allégement se succèdent. Avec la reprise de l’activité, dans les secteurs non-essentiels, la circulation automobile a repris dans les quartiers. Le bruit, l’agitation urbaine aussi.

Quel a été le moment le plus important de ces semaines hors du temps, sans rendez-vous, sans rencontres organisées. Mon esprit analyse les événements les plus marquants de cette période anormalement ensoleillée et sèche. C’est la sensation forte qui m’a saisi en passant à la cure pour prendre le livre des décès du temps de la grippe espagnole, l’avant dernière pandémie qui a frappé la société entière en 1918. Au-dessus de l’imposte du presbytère, au centre du linteau, un motif et une date 1795. Pas étonnant, c’est un vieux bâtiment qui jouxte une église ancienne, sans doute reconstruite déjà.

L’image de ce motif sculpté dans la pierre, se superpose dans ma tête à celle qui existe au-dessus de la porte  de l’ancienne gendarmerie, et pourquoi pas de l’auberge que la tradition dit qu’elle a été dans la localité voisine où j’habite. Sur cette dernière, y a-t-il une date inscrite, j’y suis passé cent fois sans rien avoir mémorisé, indifférent. Il y a aussi un motif, c’est sur.

Deux portes, deux motifs, une date que je vois, une autre que je dois contrôler. Un questionnement s’ouvre, la porte d’un mystère s’ouvre. Que peux signifier ce motif, cette forme qui m’est inconnue, gravée là au-dessus d’une imposte. Pourquoi ? Que dit-il ? Que disent-ils. ?Quel en est le sens ? Intéressé par l’histoire, j’y trouve un nouveau champ d’investigation, un motif de questionnement pour occuper ce confinement qui n’a pas de sens semble-t-il, sinon une grande crainte, une peur d’affronter les aléas de la vie qui a toujours été, une épopée à risque, parfois dangereuse mortelle même à certains moments de l’histoire. Avant c’étaient les soldats de toutes origines qui parcourraient les pays en conquérant, en semant la destruction et la mort, ou c’était des épidémies qui s’abattaient sur les populations démunies. Dans notre monde moderne, nous l’avions oubliés.

Portes des maisons qui tentent de protéger de ces maux qui tombent à l’improviste au temps des moissons, pour la razzia. Portes d’univers intimes, havre de repos. Me voilà riche de deux motifs dont j’ignore tout, motif des années 1780  ou 1800. Motifs de riches qui par ce moyen veulent dire aux passants ce qu’ils sont, ce qu’ils ont. Mystère. Tout est possible. Est-ce aussi la fierté de l’homme de métier qui tient à vendre son travail en affichant ses compétences, en marquant son territoire ?

Mes connaissances sont nulles à ce sujet, il me reste à fouiner à gauche ou à droite dans ce monde nouveau immensément riche qu’est le portail du réseau ; Internet. Que d’informations inutiles pourtant, qu’il va falloir trier pour construire le sens gratuit et non commercial  de ces clés. En écho, la présidente du Club d’histoire m’envoie vers une source d’information où s’exprime des spécialistes. Une description du motif est donnée, me voilà devant deux photos montrant des clés à piastres. Ancienne monnaie, étalage de richesse, statut du propriétaire, l’une subordonnée à l’autre, du seuil financier qu’l faut franchir pour l’afficher. Quels sens donner à ces sobres motifs de décorations.

Une aventure locale s’ouvre devant moi, l’inventaire des clés des anciens bâtiments de l’entité. Une aventure pédestre qui me fait parcourir de long en large les styles de constructions qui se sont succédées au cours du temps où c’était la campagne par ici. Satisfaction de ressentir que derrière ces portes, il y a un monde de sens qui raconte la vie de ceux qui vivaient dans le passé, dans ces mêmes lieux que je foule. Autre décor sans doute.

Racines a m’approprier et que je souhaite parcourir comme une aventure, de porte en porte, tranquillement au rythme qui me convient. Rencontres aussi possible de ceux qui sont derrière ces portes, des sources disponibles, pour découvrir le sens caché le mystère de ces bouts de pierre tombés dans l’oubli. Aventure à ma porte.

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Au coin de la place.

Au coin de la place, dans l’avenue où je m’engageais la présence d’une dizaine de voiture m’envahit avec violence, me poussant vers le mur de l’ancien magasin de fleurs. Comme une horde d’envahisseurs, des 4×4, SUV et autres bolides aux égos démesurés vrombissent en attendant que le feu passe au vert.

C’était la fin de la journée, l’heure où les mouvements se multiplient, où la cohorte roulante se presse pour mille raisons et mille destinations. Cette agression mécanique m’a surpris ! Etait-ce le souffle de l’air déplacé, comme une tornade, le bruit cumulé de ces dizaines de pneus qui raclent la chaussée pour aller de plus en plus vite. Je serre le bord des façades et poursuit mon chemin d’un pas titubant. La différence est trop forte. Deux mois étranges se terminent, c’est le retour mais à quoi.

Il ne sera plus possible de vivre tranquillement, sans stress, sans bruit, sans peurs. Suite à deux mois d’arrêt de la circulation, dus au confinement, ce spectacle me désarçonne. Adieu les moments tranquilles, les balades silencieuses, l’odeur des fleurs qui flottent autour de moi. Les gaz d’échappement, les bruits, les turbulence diverses sont de retour.Je suis replongé dans un tourbillon, un carrousel que j’avais oublié. Tout va repartir comme avant.

L’après, dit la radio, ne sera plus comme l’avant ! Faut-il les croire ? Y a-t-il des raisons sérieuses pour que cela soit ainsi. Les habitudes vont-elles changer définitivement. L’air sera-t-il plus respirable ? Le climat va-t-il retrouver ses marques, l’alternance pluie, beau temps,  les nuages, le ciel limpide, le vent.  Les saisons vont-elles reprendre leurs rythmes habituels. Va-t-il y avoir de nouvelles limites, de nouvelles manières de voir l’activité, les déplacements, le travail. Tous les voyants sont au rouge, mais les yeux sont atteints par le daltonisme, la myopie. Tout ce qu’il ne faudrait plus faire est rappelé par les lanceurs d’alerte, dans des esprits insensibles et limités à leurs besoins immédiats et égoïstes.

Schizophrène. Je deviens écartelé entre faire et ne plus faire. Mais comment changer de paradigme ?

Au pied de ma rue, dans la pme qui embouteillait la source locale, l’activité s’est arrêtée définitivement. L’eau locale sera remplacée par de sources qui sont à des centaines de kms et l’on nous pousse à acheter local ? Tout message s’exprime dans la sphère virtuelle, ne correspond pas ou guère à la réalité quotidienne. La main gauche ignore ce que fait la main droite. Un peu plus loin sur l’autre trottoir, un projet immobilier est lancé pour si j’en lis la presse, y installer un nouveau et quatrième supermarché, qui va ramener encore plus de voitures dans une avenue saturée par la circulation. Plus, toujours plus, alors qu’il faudrait penser mieux, toujours mieux.

Double contrainte, psychologiquement difficile a supporter, l‘injonction accompagnée de son contraire. Equilibre sur un fil, chute assurée. Alors que j’interroge un voisin sur ce projet immobilier, celui-ci s’approche, me colle presque. Je suis en retraite comme si lui aussi était un nouveau danger. Au lieu de bien vivre l’entretien,  je le crains, sacré virus qui me bouleverse maintenant dans ma relation aux autres. Alors que je me sentais léger en démarrant ma promenade, je perçois chez ceux que je rencontre non pas le plaisir de la découverte, mais la sensation d’évitement pour le danger que chacun est devenu.

Avec prudence, notre porte s’est ouverte à ma fille, à ma sœur, le cercle familial commence à revivre mais la distance émotionnelle est de mise, un évitement s’est installé entre elles et nous. Combien de temps encore ? La pandémie perd de sa force, sa dangerosité, un soulagement se met en place, le masque fait son apparition pour les endroits confinés où le public prudemment risque ses premières expéditions, ses premiers achats de confort.

L’avenir s’annonce sombre, même si quelques classes d’école s’ouvrent, si les petits marchés reprennent en même temps que les magasins non essentiels.

La vie en société n’est plus la même. De quoi sera fait demain ? Il y a sans doute le télétravail, les réunions en vidéoconférence mais elles n’apportent pas la même satisfaction que l’échange réel et émotionnel. Tout est changé, le monde ancien n’est plus, un nouveau monde émerge, fait d’incertitudes, d’angoisses aussi car l’on agite maintenant dans la presse, la deuxième vague, celle ultime qui risque d’aplatir les services de santé épuisés. L’on se diverti en pensant à la nature des vacances d’été pour oublier la  vacance d’activités insouciantes de ces dernières semaines.

Ma boussole longtemps inutilisée que je sors d’un tiroir, n’indique plus le nord, elle est un peu à mon image, celle d’un monde qui n’a plus de sens, qui tremble dans ses fondations et qui va permettre l’émergence d’une autre manière de vivre, bon gré, malgré.

Etre rebelle, nier les contraintes, la réalité, braver la société en voyageant sans masque et nier la nouvelle donne de ce jeu dont on n’a plus les règles et qui peut être va nous mettre à genoux. Est-ce mieux ?

La fraîcheur de la nuit.

La fraîcheur de la nuit s’est introduite dans la chambre par la fenêtre ouverte. En deux temps, trois mouvements, je suis de retour après le passage obligé à la salle de bain. Sous la couette, mon cocon thermique a disparu, le froid colle à mon pyjama. Vite, je remonte au plus haut ma peau synthétique pour retrouver cette chaleur bienfaisante. Me voilà en boule. La chaleur tarde à revenir, encore quelques minutes de patience mais je crois que l’ambiance agréable est rompue. Me mettre en route, je n’ai pas d’autre choix.

Cette sensation me relie à ma nièce, à la conversation d’hier. Elle m’a dit son envie de rester au lit, calfeutrée, elle a le moral dans les talons. Quelques mots, quelques idées échangées me retraversent l’esprit. Qu’est ce qui est fondamental dans notre échange.

« Tu parles trop, me disait mon épouse, après, Tu ne l’écoutes pas ! » Point de vue extérieur. Elle n’entendait que mes phrases sans le contexte. Plus dans le jugement que dans l’implication.

Qu’est ce qui a été dit dans cette conversation, la première depuis que je sais qu’elle ne va pas bien, qu’elle est comme on dit maintenant, en burn-out. Qu’est ce qui a été brulé. Qu’est ce qui la vide, de l’allant nécessaire pour affronter le quotidien. Pas rose d’ailleurs vu sa position professionnelle. Pas rose et pas évident. Elle affronte un parcours difficile. Un grand poids sur ses jeunes épaules. 

Est-ce le problème. Elle a beaucoup d’atouts, dans sa manière d’être, de s’exprimer. Elle est à la fois combattante rationnelle, active et prudente fragile, cherchant un point d’appui. Ah, si elle pouvait trouver son rocher, son appui intérieur, sa solidité.

Me voilà de nouveau face à cette quête, à cette prise en compte, cette analyse de mon fondement. Celui sur lequel par mon existence, je peux m’appuyer. Parler de racines est sans doute une manière d’y arriver, à cette structure en moi, sur laquelle je peux compter pour la vie de tous les jours. Qu’est-ce qui fait son état, cette fragilité, cette base qui passe actuellement entre ses mains comme le sable ? Est-ce physique, est-ce mental ?

A nouveau, ce schéma duel dans lequel notre société nous oblige à baigner. Eh, si la solution était non dans le deux, mais dans le trois. Comme le tabouret réputé stable par ses trois pieds. Le physique, le mental, le spirituel. S’identifier à l’image de l’Homme, de ceux qui étaient dans son entourage, blessés, faibles sans racines spirituelles, sans profondeurs. Qui un jour, au début de leur vie, avaient vu leur référence s’évanouir.

Est-ce là que le bat blesse. Vouloir s’appuyer sur des êtres meurtris profondément par la vie, par des ruptures anciennes, des relations houleuses, incohérentes, imparfaites. Ou s’appuyer, sans aucun doute, sur un être parfait, guide et balise dans notre quotidien, bienveillant et rempli d’un amour paternel. Si ceux de notre entourage ont failli, lui dans sa tendresse, son attitude ne faiblit pas. Toujours accueillant à nos demandes, à nos problèmes.

Dans le cortège de ceux qui nous ont précédés, de ceux qui nous ont transmis la vie, aidé à retrouver une voie pour nos jours terrestres, n’y a-t-il pas un digne d’admiration, digne de confiance, qui un jour m’a pris par la main. 

Tiens, au home, un conseil de lecture d’un résident me renvoie chez un auteur bien connu qui a écrit « Au plaisir de Dieu. » Me voilà par sa plume, plongé dans un monde inconnu, inimaginable, un monde de luxe, celui d’un comte possédant 10000 hectares, un énorme château, et détails signifiants douze valets de chiens, pour le situer et dont l’occupation est de jouir des bénéfices du domaine, géré par un intendant. Un Crésus local. Ce qui m’a plus touché est finalement le moment de son réveil par son valet, qui vient lui murmurer à l’oreille le matin, pour le mettre en route

« Mr le Comte, Mr le Comte, réveillez-vous de grandes choses vous attendent aujourd’hui. »

Le voilà lui aussi en bordure de son cocon nocturne, invité en tant que vivant, à entrer dans le quotidien. Tout comte qu’il est, il n’a pas dans ces moments plus que moi, comme rocher de base. Il est vivant, invité à se mettre debout. N’est ce pas dans ces secondes que tout se passe. Prendre conscience du don qui chaque jour m’est donné.

Tous les possibles sont là à ma portée, même allez sur la lune si j’ai le cv qui convient ou simplement prendre mon baluchon pour me lancer dans une nouvelle journée de vie, de travail sans doute, celle d‘un être vivant, limité, blessé sans doute à un moment ou l’autre, par sa maladresse, par celle d’autres.

Etre vivant, qui va ce jour, faire le pas qu’il sait faire, pour sa satisfaction d’abord, selon ses balises, selon sa force, simplement. En tant qu’enfant de son Père.