Agitation, ruptures et peurs

 Pour acquérir un sommeil réparateur, ce Dimanche soir, j’avais compté les gouttes de somnifère sensées me garder endormi toute la nuit. Sans surdose, juste une portion XXL nécessaire et je pensai suffisante. Il n’en fut rien. Mon sommeil coupé de retour à l’éveil, rempli d’images inhabituelles dont je ne gardais pas la trace, fut agité comme les deux nuits précédentes. Dans mes phases d’éveil, en grande conscience, des pensées insolites toutes reliés à mon fils, se succédaient dans l’ordre ou le désordre, s’enchainaient, se coupaient, repartaient dans une autre direction. Tout tournait autour de la relation qui fût la nôtre, par comparaison à celle qu’il entretenait avec son fils, me rejetant dans celle que j’avais eu avec mon père, à l’âge de mon petit-fils.

Quel était le message qui ainsi me parvenait dans ces moments ? Quel en était le sens ? Par où commencer pour en tirer, pour la lignée, le plus grand bénéfice. Après le calme, la tempête, après ce long confinement la turbulence émotionnelle, le télescopage des idées inattendues, de comparaisons, d’associations.

Mon Smartphone y était pour quelque chose. Le geste incongru de le poser sur le coffre arrière du cabriolet, devant le spoiler, avait déclenché le scénario qui n’en finissait pas de revenir à la charge, comme pour montrer l’importance que ce geste avait pris dans les jours qui s’écoulaient.

L’idée principale ou plutôt un des thèmes qui me traversait était le symbole de cette équipement indispensable de communication. Ne nous mettait-il pas en relation avec la famille, le cercle d’activité, d’amitiés. L’aîné de mes petits fils en rendant service avait pris la voiture et emporté en plus des cousins, cet engin attaché à son chargeur. Aucun passager n’avait remarqué ce double objet incongru sur le coffre arrière. Avec mon fils, cote à cote comme jamais avant, penché sur un problème, nous avions repassé le quart d’heure d’activité, sur la vidéo surveillance supposée protéger l’atelier et le loft des voleurs et oui, constaté que l’objet était bien là au départ de la voiture. Il avait donc accompagné le véhicule et était certainement tombé en cours de route.

Nous étions proches, présent l’un à l’autre dans une recherche qu’il conduisait adroitement. Comme deux policiers sur une enquête. Ce fait m’avait touché. Lui qui était souvent distant, peu loquace, occupé à courir si pas pour son travail, pour sa passion des anciens véhicules, toujours sous tension dans une quête qui m’étonnait.Il était présent concentré sur la filature de la voiture. Un peu plus tard il prenait la route, à pied, pour ne pas manquer l’objet sur le trajet supposé pris par la voiture un peu avant, malgré la fatigue de la journée. Avec son fils, à tour de rôle, ils avaient appelé le Smartphone, puis sur le chemin régulièrement pour l’entendre sonner et à la dixième tentative, comme l’indiquait le répertoire des appels, quelqu’un avait décroché car il avait ramassé l’objet au bord de la route. Heureux hasard encore, c’était un habitant du village voisin à qui il avait demandé de déposer l’objet chez ses ex-beaux-parents, proches voisins.

Tout est bien qui finit bien.

Non, ce n’était guère le cas car des associations m’avaient traversées. Au réveil, dans les brumes d’une conscience qui va se remettre en roue, dans le plus grand désordre une prise de conscience était en train de se faire, elle concernait la lignée des hommes, leur relation à l’environnement, des mots clés de leur vie. Ce n’était pas rien cet incident, il me renvoyait à la communication père- fils, la relation entre mon petit-fils et son père, celle entre mon fils et moi, celle que j’avais vécue entre avec mon père. Trois couches différentes, trois expériences vécues au niveau de la communication, des rôles de pères. A la dernière réunion familiale, par hasard, le jour avant le confinement, à l’apéritif, je m’étais trouvé jaloux de voir,  mon petit-fils et ma petite fille, alternativement sur les genoux de mon fils, dans une tendresse et un plaisir évident, d’une proximité partagée. 

A leur âge le sevrage devait pourtant être fait et je m’étais mis dans la tête de pointer ce comportement qui n’avait plus sa place. Puis ce souvenir fit écho ce matin là avec mon histoire. Moi aussi j’avais été comme eux, proche de mon père toujours prêt à nous entrainer dans les moments littéraires de ses études jusqu’au jour où à 10 ans (presque l’âge de mon petit fils) la pension nous avait séparé. Nous avions été trahi, abandonné mon frère et moi, dans cet immense collège froid et austère loin de notre campagne et ses activités.

Avec mon fils, je n’avais pas eu sa présence, ni cette relation forte que je voyais entre eux sous mes yeux. Nous étions bien plus distants. Et ici j’avais vu aussi mon petit-fils, sur les dents, pour apporter sa contribution, n’avait-il pas appelé le gsm de son Patou. Ne s’était-il pas mis en quête de l’objet. Cet événement actuel me semblait à présent, plus appartenir à une histoire familiale. L’idée d’une perte, d’une rupture, d’un éloignement symbolique se mettait en place.

Quelque part, ne craignait-il pas la perte d’une relation avec le père, image transgénérationnelle de celle qui avait été, en mon temps, un deuil profond qu’inconsciemment, je leur avais transmis. Symboliquement, ne s’agissait-il pas de ce secret que je portais en moi et qu’ils essayaient par leurs efforts d’apaiser, de guérir.  Le sens de la perte s’affichait clairement à présent dans mon agitation mentale.L’orage nocturne était passé, m’apportant ce message inattendu. 

Hier au téléphone, en commentant la journée passée chez lui, mon fils avait relevé le caractère symbolique de cet incident dépassant la lecture de premier niveau. Il voyait un sens magique au déroulement de cette recherche qui se terminait étonnement, m’invitant à la lire symboliquement, a reparcourir l’événement quand une forte émotion m’avait submergée. Emotion qui m’avait envahie aussi quand j’avais appris que le confinement allait commence.

Qu’avait été pour moi la porte du pensionnat, sinon la rupture du lien familial, l’éloignement et l’isolement dans un milieu inconnu et froid qui me fait encore frissonner quand résonne dans ma tête le bruit des pas des internes longeant les murs pour rejoindre au deuxième étage la solitude du dortoir. N’avais-je pas été à l’âge de mon petit-fils, confiné une première fois en pension, avec mon cordon ombilical  coupé comme l’était maintenant mon lien virtuel avec mon téléphone portable.

Tiens déjà, avec mon fils, depuis la conversation est plus joyeuse, plus légère, je le sens plus proche. Le cadeau qu’il m’a fait de forcer le destin, d’être acteur, alors que je m’apprêtais a passer l’affaire à pertes et profits, lui avait été efficace et trouvé le remède changeant en plus notre relation. Habitant loin, n’était-ce pas plus simple pour lui de s’écarter de ce deuil que j’avais été incapable de faire. 

Alors d’ou vient que la camionnette qu’il a vendue à son copain, et qui  circule dans mon village, toujours couverte de ses coordonnées, de sa publicité et ses numéros de téléphones. Solidarité entre potes pour épargner le père ?

Est-ce que le deuil non fait avec mon père, ma colère à son sujet, s’est transmise inconsciemment et s’est symbolisée par la distance entre nos lieux de vie ?

E puis cet incident cardiaque qui le menace, le rendant fragile de ce coté comme moi, comme mon père. Moteur de vie qui risque de basculer s’il n’y prend pas plus garde comme cela s’est passé pour mon père.

Histoires de liens, mis en péril dans la lignée des pères. 

Au coin de la place.

Au coin de la place, dans l’avenue où je m’engageais la présence d’une dizaine de voiture m’envahit avec violence, me poussant vers le mur de l’ancien magasin de fleurs. Comme une horde d’envahisseurs, des 4×4, SUV et autres bolides aux égos démesurés vrombissent en attendant que le feu passe au vert.

C’était la fin de la journée, l’heure où les mouvements se multiplient, où la cohorte roulante se presse pour mille raisons et mille destinations. Cette agression mécanique m’a surpris ! Etait-ce le souffle de l’air déplacé, comme une tornade, le bruit cumulé de ces dizaines de pneus qui raclent la chaussée pour aller de plus en plus vite. Je serre le bord des façades et poursuit mon chemin d’un pas titubant. La différence est trop forte. Deux mois étranges se terminent, c’est le retour mais à quoi.

Il ne sera plus possible de vivre tranquillement, sans stress, sans bruit, sans peurs. Suite à deux mois d’arrêt de la circulation, dus au confinement, ce spectacle me désarçonne. Adieu les moments tranquilles, les balades silencieuses, l’odeur des fleurs qui flottent autour de moi. Les gaz d’échappement, les bruits, les turbulence diverses sont de retour.Je suis replongé dans un tourbillon, un carrousel que j’avais oublié. Tout va repartir comme avant.

L’après, dit la radio, ne sera plus comme l’avant ! Faut-il les croire ? Y a-t-il des raisons sérieuses pour que cela soit ainsi. Les habitudes vont-elles changer définitivement. L’air sera-t-il plus respirable ? Le climat va-t-il retrouver ses marques, l’alternance pluie, beau temps,  les nuages, le ciel limpide, le vent.  Les saisons vont-elles reprendre leurs rythmes habituels. Va-t-il y avoir de nouvelles limites, de nouvelles manières de voir l’activité, les déplacements, le travail. Tous les voyants sont au rouge, mais les yeux sont atteints par le daltonisme, la myopie. Tout ce qu’il ne faudrait plus faire est rappelé par les lanceurs d’alerte, dans des esprits insensibles et limités à leurs besoins immédiats et égoïstes.

Schizophrène. Je deviens écartelé entre faire et ne plus faire. Mais comment changer de paradigme ?

Au pied de ma rue, dans la pme qui embouteillait la source locale, l’activité s’est arrêtée définitivement. L’eau locale sera remplacée par de sources qui sont à des centaines de kms et l’on nous pousse à acheter local ? Tout message s’exprime dans la sphère virtuelle, ne correspond pas ou guère à la réalité quotidienne. La main gauche ignore ce que fait la main droite. Un peu plus loin sur l’autre trottoir, un projet immobilier est lancé pour si j’en lis la presse, y installer un nouveau et quatrième supermarché, qui va ramener encore plus de voitures dans une avenue saturée par la circulation. Plus, toujours plus, alors qu’il faudrait penser mieux, toujours mieux.

Double contrainte, psychologiquement difficile a supporter, l‘injonction accompagnée de son contraire. Equilibre sur un fil, chute assurée. Alors que j’interroge un voisin sur ce projet immobilier, celui-ci s’approche, me colle presque. Je suis en retraite comme si lui aussi était un nouveau danger. Au lieu de bien vivre l’entretien,  je le crains, sacré virus qui me bouleverse maintenant dans ma relation aux autres. Alors que je me sentais léger en démarrant ma promenade, je perçois chez ceux que je rencontre non pas le plaisir de la découverte, mais la sensation d’évitement pour le danger que chacun est devenu.

Avec prudence, notre porte s’est ouverte à ma fille, à ma sœur, le cercle familial commence à revivre mais la distance émotionnelle est de mise, un évitement s’est installé entre elles et nous. Combien de temps encore ? La pandémie perd de sa force, sa dangerosité, un soulagement se met en place, le masque fait son apparition pour les endroits confinés où le public prudemment risque ses premières expéditions, ses premiers achats de confort.

L’avenir s’annonce sombre, même si quelques classes d’école s’ouvrent, si les petits marchés reprennent en même temps que les magasins non essentiels.

La vie en société n’est plus la même. De quoi sera fait demain ? Il y a sans doute le télétravail, les réunions en vidéoconférence mais elles n’apportent pas la même satisfaction que l’échange réel et émotionnel. Tout est changé, le monde ancien n’est plus, un nouveau monde émerge, fait d’incertitudes, d’angoisses aussi car l’on agite maintenant dans la presse, la deuxième vague, celle ultime qui risque d’aplatir les services de santé épuisés. L’on se diverti en pensant à la nature des vacances d’été pour oublier la  vacance d’activités insouciantes de ces dernières semaines.

Ma boussole longtemps inutilisée que je sors d’un tiroir, n’indique plus le nord, elle est un peu à mon image, celle d’un monde qui n’a plus de sens, qui tremble dans ses fondations et qui va permettre l’émergence d’une autre manière de vivre, bon gré, malgré.

Etre rebelle, nier les contraintes, la réalité, braver la société en voyageant sans masque et nier la nouvelle donne de ce jeu dont on n’a plus les règles et qui peut être va nous mettre à genoux. Est-ce mieux ?

Mlc et Covid.

Pandémie oblige, tout est fermé, le cours de MLC ne sera pas donné, pour la deuxième fois ce mois-ci. Cette bulle de temps pour entretenir la relation à notre corps n’est pas possible. L’espace commun où nous guide la monitrice n’existe plus sinon que dans notre souvenir. Le rituel de mise en route, du délestage pour l’envol d’une heure hors de notre quotidien ne se fera pas aujourd’hui. Ce lien, cette tranche de vie ne peut exister.

Par les réseaux, une invitation à autre chose nous est parvenue. Notre monitrice nous fait une proposition tirée de ses ressources. Une séance audio. Je suis dans mon salon, la lumière du soleil éclaire joyeusement, le matériel que j’ai rassemblé. Un bâton de brosse, deux balles de tennis, deux boules de mousse ; les grosses, un essuie roulé en un boudin. Le fichier d’une session enregistrée par les bons soins de la monitrice m’est parvenu, deux fois, même. Est-ce un double obtenu par une mauvaise manœuvre ou une autre séance ?

Le début de lecture de la première me conforte, c’est le début, le  bon bout. Je n’ouvre pas l’autre. Le rythme de sa voix me met déjà dans son univers, dans la vibration sonore qui nous anime au cours de l’heure où nous essayons sous sa houlette, d’entrer dans la détente. Apparemment son choix d’exercice est un peu différent du menu habituel, il n’y aura pas de besoin de matériel complexe. L’exercice se passera dans la sobriété.

Le strict nécessaire est là, moi en tenue de gym comme si l’interdiction ne nous avait pas cloué à domicile. C’est une mise en condition importante. L’habit fait le moine. Je suis un élève du cours MLC. C’est ainsi que les autres me voient. Pourtant ma pensée n’est pas à 100 % derrière ce qu’elle nous demande. Trop d’idées se pressent dans ma tête.

« Comment organiser un tel cours à distance ? »

« Comment faire partie du groupe, percevoir les autres car l’exercice seul est fade, bien différent ? ».

L’espace convivial du local habituel, occupé par d’autres, aux alentours fait partie de la session, rend le cours vivant. Le cours ne se fait pas dans l’isolement.

« Comment créer du lien ? »

Via le mail, un échange de messages brefs nous a motivé à démarrer ensemble, a pousser sur la commande de l’enregistrement, a entrer dans la relation virtuelle avec le groupe, d’une manière plus concrète que par la simple pensée. Être en connexion avec le tiers  qu’est la voix de la monitrice nous met en condition, à prendre distance, avec nos soucis, le confinement pour rechercher dans nos tensions celles qui ont besoin de soins et de détentes.

La magie commence à jouer, je suis de plus en plus en phase avec l’exercice, par la voix qui me parvient, je suis comme au cours au fur et à mesure où se déroule l’exercice. Le leurre fait son office, je me détache des pensées, je scanne selon son mode de travail, mon corps, mes jambes, mes pieds. En fin d’exercice sur mes pieds, une sensation nouvelle vient d’apparaître, mes pieds sont ancrés au sol, j’ai peine à bouger mes jambes. Je suis enraciné. Curieux. Nouvelle sensation.

Les exercices se suivent dans cet atmosphère qui devient déjà ordinaire. Toujours accroché à sa voix qui sort à présent de mon smartphone, nous passons les exercices prévus, par la grâce du fichier audio. Je n’y suis pas toujours présent car ces idées, d’organisation idéale, me pourchassent. La fin de la session est là, rapidement, plus rapidement que je ne l’imaginais. Le temps de l’enfermement m’envahi à nouveau. 

Merci à la monitrice de cette proposition étonnamment nouvelle.

Cette expérience m’a relié, a créer dans mon quotidien une rupture, bien nécessaire  dans ce temps qui tout doucement devient neutre, sans les activités diverses qui rythment mon quotidien.

Ce n’est pas un exercice recherché pour casser le rythme du temps, c’est sur base des séances d’avant poursuivre une expérience, s’appuyer sur des fondations bâties sur les nombreuses séances d’avant la tuile qui nous est tombée sur la tête.

« Comment améliorer cette première étape ? ».

« Comment mettre un lien plus concret en route ? »

Une vidéo conférence serait sans doute le bon média. Être dans l’immédiateté, dans l’événement qui s’expanse dans cette tranche horaire qui me sort de mon quotidien.

A réfléchir, à améliorer, à revivre tant que le confinement dure.

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