Cadeau mystérieux

À peine engagé dans le jardin avant de la maison de ma sœur, la voisine se mit à gesticuler sur sa terrasse. Surpris par sa vivacité et son intervention, j’ai essayé de déceler le sens de ses paroles et de son agitation. 

Que venait faire en plus le prénom de mon beau frère récemment décédé ? Et puis l’animal dont elle parlait où était-il ? J’essayais de comprendre quand mes yeux tombèrent sur un chien, plus d’apparence de loup que de chien, qui s’agitait lui aussi le long de la clôture au bord de la route. 

Était-ce de cette bête dont elle parlait ? 

Toujours dans le brouillard pour donner sens à l’événement, je lui proposais en désignant l’animal, la présence d’un loup. La seule chose évidente pour moi ; Ce n’était pas un renard. Finalement je ne sais trop de quels mots, de quelle phrase, je compris que mon attention devait se porter au loin, de l’autre côté de la route, dans le champ où les semis commençaient, leur pousse. Là était la raison de son agitation !

Les oreilles dressées, à l’orée d’un bosquet, elles aussi surprise par les cris de la voisine, deux biches regardaient dans notre direction.  Ce n’étaient pas les voitures qui les inquiétaient mais la voix stridente qui essayait de me faire participer au spectacle inattendu de la fin de l’après-midi.

C’était un des plus beaux moments que j’aie à raconter à propos de la vie sauvage environnante et qui était offert à ma sœur ainée, pour son anniversaire. C’était en effet le jour, mémoire de sa naissance, bien des années plus tôt et je me devais moi, son frère cadet de la fêter, en passant la saluer, l’aider à vaincre la solitude dans laquelle le deuil de son mari, grand amateur de photos l’avait plongée.

Quel plaisir, n’aurait-il pas eu, ce beau-frère, à la vue de cette vision inattendue et combien importante, lui qui passait des heures à photographier les oiseaux, sur le versant boisé de la vallée, du fleuve qui coulait, à 1 km à peine. 

Enfin l’intervention de la voisine prenait du sens, c’est à la mémoire du photographe qu’elle s’adressait quelques minutes plus tôt. Devant ce spectacle inattendu, comme un rendez-vous avec son disparu, ma sœur s’empressa, pour mémoriser l’événement, d’aller chercher son GSM pour photographier les animaux et mémoriser l’événement.

Comme un cadeau de l’univers, de son mari, pour l’aider à continuer vaillamment son quotidien de veuve éplorée.  De mon point de vue, ce happening, c’était pour lui offrir en sa mémoire, le meilleur cadeau qu’elle puisse recevoir pour son anniversaire, ce 9 mars.

Insomnie et médication

Son appel téléphonique et mon passage à la salle avaient ouvert à nouveau le paquet d’émotions  causées par une gestion inacceptable et improbable, et qui m’habitaient encore. Pour l’apaiser, j’avais visité les noisetiers du quartier pour recueillir quelques fruits, ignorés de tous et me replonger ainsi par la marche, dans mes souvenirs d’adolescence au village.

Malgré le somnifère, l’agitation mentale m’avait repris au cours de la nuit et des événements, comme un film étaient revenus dans mes perceptions.

Je faisais barrage à cette agitation quand comme dans un ciel orageux, une éclaircie s’ouvrit apportant un fait enregistré inconsciemment, le reflet qui me semblait doré de la boite de biscuits, dont le dernier éclat, en éteignant le soir, avait été enregistré. Boite qui nous avait été remise par Marie au nom du pôle communication. Ce reflet réapparaissait et je me revoyais enlever le manchon en carton de la boite Neuhaus  et prendre pour me consoler, un biscuit sucré qui avait la forme d’un cœur et dont l’âme était en chocolat.

Cette boite était bien plus que son apparence, elle me renvoyait par son reflet doré, et cuivré, à nos noces d’or, qui en étaient le motif, à son contenu et aux biscuits en forme de cœur, témoignage indirect et subtil d’une attention chaleureuse et guérissante.

Dans le tumulte de mon esprit, ce fut comme une médication puissante, plus forte que le somnifère et qui mystérieusement décalée venait mettre du baume sur ce qui m’agitait derrière un rideau d’inconscience, sans doute aussi réplique d’un passé lointain.

Je n’étais plus seul dans ce combat d’apaisement, face aux journées difficiles que j’avais vécues les derniers mois.

L’émotion face à ces événements venait en surface et mon chat, compagnon d’écriture endormi contre mon bras gauche, quand j’écris à la table, se leva et vint frotter sa tête le long de ma joue.

Plus d’une fois, ces dernières années, je constatais qu’un apaisement extérieur, sous forme de message, de présence inopinée, venait à mon secours, renforçant de plus en plus l’idée de l’ange gardien, de la providence qui a tout moment est en soutien de nos parcours difficiles. Anges trop souvent inaperçus, faute d’un œil qui observe, d’une attention décalée.

Processus récurent au cours du temps pour de nombreux événements difficiles et dont l’exemple le plus flagrant est ce qui m’avait été donné lors de ma dernière hospitalisation(*) ou lors d’un des premiers jours de confinement, l’année dernière lorsque ma femme et moi étions en prière, à l’église millénaire de l’entité.(*)

L’idée persiste aussi que le tissu de relations et d’attentions qui se construit dans la paroisse, pour un but commun, la solidarité envers les uns et les autres, ceux qui sont dans la périphérie, dans les moments difficiles, reste la balise fondamentale qui permettra à notre communauté de traverser plus sereinement les épreuves de la vie. 

(*) https://corpssensations.org/a-propos/messagere-de-nuit2/

(*)https://corpssensations.org/2020/03/18/moment-de-grace/

Rencontre furtive

Les uns après les autres les participants du club de gym se regroupaient à l’entrée de la salle pour l’heure d’exercice. Depuis un an que j’y participais j’avais à peine appris les prénoms de quelques-uns. Après la poignée de main à la ronde, la bise aux dames, des petits groupes d’habitués se formaient. Surprise, un des derniers arrivants, me frôla, entra dans ma bulle de manière courtoise sans doute mais différente des échanges ordinaires avec les autres participants. Derrière ses lunettes, je retrouvais une impression fugace de déjà vu mais je ne pu immédiatement comme on dit parfois « le remettre ». Après une courte hésitation, mon franc tomba. Je l’avais rencontré mardi matin pour des soins à ma dent numéro 26. C’était mon dentiste.

Il poursuivit ses salutations à la ronde dans le groupe qui atteignait sa taille habituelle. Les deux monitrices se mirent en route et je me rendis vers la première, dans le groupe le plus doux, le moins battant adapté à mon état de santé. Cette rencontre semblait logique puisque deux semaines avant, il m’avait confirmé sa présence dans cette association « Cardiogym ». Pourtant je ne l’avais jamais vu et de plus au premier abord s’il n’était pas entré dans ma bulle je ne l’aurais pas reconnu.

Plusieurs fois de suite, la longue cohabitation entre la fraise et mes dents, son coude en appui, lors des soins, sa présence dans ma bulle, ma zone de sécurité, m’avais habitué à un ressenti particulier typique, plus dans le non-dit, le sensitif que dans le visuel ou le sonore.

Dès la série engagée d’un exercice qui comprenait successivement dix fois son identique, je profitais de la routine pour observer les deux groupes. Dans l’autre cercle d’activité, je parcourais le visage des sportifs et j’avais peine à le reconnaître. Était-il encore aux vestiaires ?

Au deuxième tour je devais bien me rendre compte qu’il s’était glissé dans mon groupe. À nouveau je parcourais celui-ci en éliminant les hommes les uns après les autres. S’il était présent cela devait celui qui avait ce short particulier avec une poche interrompant une bande verticale. Le visage ne me disait rien. il m’apparaissait si souriant loin de l’image sérieuse, engoncée, en uniforme de mon dentiste. Était-ce une projection, une apparition, je n’arrivais pas à le situer. Était-ce lui ou son sosie. Je doutais.

À nouveau, l’importance du cadre entourant une personne rencontrée m’apparaissait. Dans un autre contexte, ce n’était pas toujours évident de reconnaître celui qui s’était trouvé, un temps non négligeable, même parfois devant soi. Si les vêtements étaient différents, cela compliquait l’exercice. Mon dentiste je l’avais vu en tenue de travail, pas en short. Avait-il aussi changé ses lunettes ? C’était fort possible qu’il aie mis une autre paire pour la vue de loin. Paire de lunettes impossible à utiliser pour un champ de travail à 20 cm de ses yeux. Une focale courte devait être plus précise et plus confortable.

La parole régnante dans la salle était celle de la kiné qui nous entraînait dans les différents exercices. Je ne pouvais donc ajouter la voix à mes tentatives difficiles de reconnaissance.

À nouveau mon regard parcouru le cercle cette fois avec un autre point de vue. De ceux qui étaient présents cet homme était celui qui avait le plus de plaisir à l’exercice. Il était détendu, joyeux presque.

Après une journée d’attention, de stress face aux réactions des patients n’était-il pas logique de le retrouver dans cet état; libéré de ses contraintes professionnelles, de son habit de cérémonie, en short. Toute la différence était là.

C’était une transfiguration. Il s’était débarrassé de son masque de dentiste avait retrouvé le commun des mortels. Il s’était libéré de sa « Personna » pour redevenir l’adulte qui profite de son corps, qui en aborde toutes les possibilités. Non dans la musculation mais dans la détente, le plaisir du mouvement sain, jouant sur la palette des muscles, toujours à disposition.  Après des mois de présence dans ce groupe d’activités je peinais à me situer, à établir des relations de personne à personne.

Seul l’intérêt pour notre santé nous reliait. Chacun gardait ses distances et c’était seulement par petits pas que l’on agrandissait son cercle de connaissance. Ce n’était pas évident, chacun venait avec ses problèmes de santé, de vie. Chacun avait une approche différente de la réalité.

Aujourd’hui j’avais rencontré un peu plus l’homme qui s’était déguisé en dentiste, l’homme qui portait une cuirasse de dentiste ou que j’avais placé derrière son habit d’homme de soins.