Le travail de préparation des trois derniers jours avait rassemblé quelques bénévoles, à la maison paroissiale, pour élaborer les panneaux informatifs de l’exposition, prévue lundi à l’église. Quelle était la place de la communauté, hier et aujourd’hui, dans le voisinage de l’église ?
Comment ceux qui nous avaient précédés faisaient-ils pour exprimer leur foi, leur religion, leur temps libre.
Des témoignages écrits retrouvés dans les archives de la cure avaient donné de multiples aspects à ce projet. Les visites auprès des anciens pratiquants avaient récoltés quelques photos anciennes, des souvenirs. Pour ma part je m’étais attaché la procession, les communions, la maison paroissiale, les cimetières, l’ancien et le nouveau.
Les grilles livrées samedi pouvaient être décorées, d’autres étaient encore à installer. C’était le branle-bas de combat car à 18 heures le vernissage allait rassembler les invités. Chacun dans son domaine faisait progresser son chapitre. Les premiers panneaux installés, une jeune dame entra dans l’église et s’informa
« Était-il possible de chanter quelques morceaux de mon répertoire sans gêner? »
Bien sûr, pourquoi pas. De notre petit groupe aucune objection, elle soutiendrait notre moral. Dans le transept où elle s’était dirigée, elle entonna ses chants.
Surprise, émotions, miracle presque.
Sa voix cristalline s’élevait, résonnait sous les voûtes envahissant l’espace des nefs. A cappella, de toute la puissance de sa voix, elle donnait son aubade, morceaux d’un répertoire où elle excellait certainement.
Notre chorale et ses quelques voix restaient loin en arrière. L’église devait aussi y trouver un répertoire plus adapté à son âge, millénaire.
Quelle magie, quelle joie profonde rayonnait de cette petite dame, par la taille. Était-ce un échauffement, un entretien, un nouveau répertoire à mettre en forme. Mystère. Le questionnement aurait tout détruit.
Elle chantait en latin mais ce n’était pas du grégorien comme j’en avais encore des bribes enfouies dans mon passé d’acolyte. C’était un genre ancien splendide, adapté à la sonorité de l’église. Dans mon souvenir, le répertoire de Hildegarde Von Bingen, faisait son chemin. De toute manière, c’était de la musique ancienne.
Le cadeau d’un ange qui venait supporter notre travail de mise en place. Clin d’œil d’un monde extérieur pour notre entreprise folle, d’informer le voisinage, distant, indifférent.
La synchronicité de cet événement me touchait au plus profond, donnait du sens à notre démarche modeste, de montrer ce que ce petit village perdu dans l’urbanisation galopante avait pu vivre au cours des décennies précédentes.
À ce travail de recherche de mise en page des informations, je mesurais l’abîme qui séparait ce temps, de cette époque. J’avais assisté à la décomposition rapide d’un mode de vie dont je voulais faire revivre quelques épisodes. Le sens d’alors, la piété avais disparu. Tout n’était plus que bénéfice personnel, plaisir d’aller de venir, le plus loin possible, loin de l’atmosphère du village, loin des conversations amicales entre voisins quand ils se rencontraient dans les lieux de vie de proximité, le boulanger, le boucher, l’épicerie, la fête au village, les communions les mariages, les enterrements.
Entre le passé et le présent, je faisais le grand écart, soutenu par cette image puissante et forte de cet inconnue qui avait juste choisi le moment où notre petite équipe se mettait au travail pour exprimer, remettre à jour ce qui était sans doute une atmosphère de mon enfance, il y a longtemps, trop longtemps. Travail béni par cet ange.
Les coïncidences se multipliaient, une ancienne choriste déçue par la rigueur et la dureté d’un curé d’avant, avait poussé la porte de l’église un peu plus tard pour renouer avec l’ambiance du jubé qu’elle avait plus foulé depuis 15 ans. Elle avait pris en main l’orgue, s’était mise à chanter. En partant, elle m’annonçait le retour de l’ancien organiste, doyen en âge, qui avait 98 ans. Sevré brusquement de son univers musical qui s’était étalé pendant 60 ans, il souhait renouer avec son passé.
Des réconciliations semblaient en cours et ne fusse que pour cela, l’exposition avait donné du fruit.
Heureux présage pour la suite où les visiteurs seraient réveillés, reliés à leurs moments personnels, à leur mémoire ancienne.