Paroles bloquées.

Parlez ! moi ?  Pour qui ?  Pour quoi ?  Pourquoi.

Une fois de plus le rendez-vous était là et il fallait meubler le temps à disposition. Flot de paroles pour ne rien entendre ou ressentir dans un silence gêné, dans un silence passif.

L’absence de paroles étant encore plus difficile, je parlais d’abord d’avoir pu prendre la parole, dans un cercle d’amitiés de trente personnes, pour y expliquer un point de vue au sujet d’une œuvre de Magritte, simplement,  maladroitement sans doute.

Sans peur les mots s’étaient suivis d’une manière plus ou moins cohérente, sans confusion dans l’esprit. La panique habituelle n’avait jamais été présente, aucun battement superflu ou puissant animé par la chamade. Dans l’ordre des choses, tranquillement simplement les mots avaient traversé ma bouche vers l’espace de la réunion.

Que de chemin parcourus lentement sans doute, depuis la première fois où j’avais osé parler en public et où la transpiration du front, descendait lentement sur le bout de mon nez pour y faire le goutte à goutte.

Une parole se libérait, s’était libérée, avait évolué au point curieux que pour la première fois en prenant rendez-vous avec mon coiffeur quelques jours après, j’avais entendu celui-ci réclamer  « A quel nom » et ce pour la première fois, au moins depuis longtemps. Etait-ce un indice de l’évolution de ma voix, de son affermissement. L’histoire et les échos viendraient le confirmer.

J’avais parlé en public à partir de la salle, à l’aise comme je ne l’avais jamais été. J’avais exprimé des points de vue à la réunion des cadres autour de la table francophone de discussion à laquelle nous étions assis cette fois-ci.

Cela renforçait ma confiance et mon assurance dans mes capacités d’expression.

Le dimanche suivant lors d’un bain, une explication vient à la surface de ma conscience et me souffla que ce blocage de la parole avait pris aussi son origine dans un moment précis de ma place d’enfant en 3 ème maternelle où la sœur Cécile tournait autour de moi pour rechercher celui qui s’était oublié dans sa culotte et qui empestait l’atmosphère. J’avais refusé de dire que c’était moi, évitant l’humiliation qu’elle n’aurait pas manqué de me faire vivre si j’avais  eu l’innocence de lui avouer.

Craignant les foudres de celle qui représentait la sorcière, la castratrice, l’affreux dictateur, chargé d’enseigner aux filles et à quelques garçons dont moi parce que le père m’utilisait dans la guerre scolaire entre l’école catholique et l’école communale.

Menacé par ses foudres et sa conception de la justice, j’avais fermé la bouche. J’étais entré dans un mutisme qui allait durer des années. J’avais perdu mes moyens d’expression et pris en charge le poids du péché, du mensonge, de désobéissance, ce qui était pour moi enfant gérable seulement par le silence.

Et depuis cet age là, je m’étais réfugié du coté des femmes puisque j’avais été l’homme qui n’affrontait pas ses responsabilités. C’était le cadenas de ma voix, de mon expression, de mes blocages d’épaule et du timbre de ma voix.

N’interprètez pas, ne dites pas que vous avez changé, mais veiller à ce que l’on dise de vous, « Il a changé ! « .

Mais dis-je en fin de séance dans un jet on ne peut plus incontrôlé. Et la sexualité reste toujours pendante, c’est un sujet qui n’a pas encore été abordé. Sourire surpris. Un lapsus, un jeu de mot venait de se passer et me forçait à me noter dans la liste des lapsus des autres.

Oui, elle n’était pas encore abordée car elle reste toujours faible et réduite à néant par un effondrement de la libido.

27/1/2000-02-11

 

La place de l’Homme.

De petits indices de changement se mettaient en place, des conflits nouveaux se précisaient, exprimaient une nouvelle donne.

Pourquoi y avait-il conflit entre mon épouse et moi, à propos du tableau de Magritte qui avait été choisi pour une tentative d’explication du thème d’une réunion. Ce tableau qui m’avait parlé au ventre, ne pouvait pas pour moi représenter la foi car il évoquait au contraire, une toute autre dimension, celle de la masculinité, de la féminité dans l’univers. Je l’exprimais à haute voix à notre visiteuse, quand ma femme, occupée au nettoyage du dessus de l’armoire, emportée dans ses explications à propos d’un autre sens  à donner au tableau et que je réfutais, ne fit ni une ni deux, elle s’attaqua à mes pots chinois à gingembre.

Dernier souvenir de ma mère, placés pour les protéger au-dessus de ma bibliothèque, elle les bouscula, renversa l’un deux du petit socle qui les mettait plus haut que la frise de bois qui couronnait le meuble.

Une réaction violente se fit en moi, faite d’agressivité verbale et de gesticulation à la grande surprise de notre amie qui ne comprenait pas qu’on puisse se mettre dans un tel état pour un pot.

« Je vais les ranger au grenier, là ou moins je suis sûr que tu ne les toucheras pas et qu’ils resteront intacts ! »  Elle quitta la pièce et l’amie tenta de m’apaiser et de chercher le sens de toute cette émotion, à propos de ces objets, souvenirs maternel  que j’avais extrait lors de mon mariage du grenier familial.

C’était vrai que la réaction était démesurée par rapport à la bousculade de l’objet et qu’il n’était pas matière pour en faire un plat. Mais un point sensible avait été touché et qu’il n’était pas évident d’en parler sereinement.

La clarification du sens de cet incident serait utile. Je n’avais vu que du feu dans la succession des faits et mon impression première était la défense de l’objet sans y voir que l’essentiel était le sentiment qui avait jaillit pour défendre mes opinions.

Le nœud du problème semblait tourner autour de la place de l’homme.

Ma place d’homme que je voulais renforcer faisait problème. Ce n’était pas la place du père, du protecteur, du papa poule. Cette nouvelle  approche mettait en péril la dynamique familiale où la chasse à l’homme était en place depuis longtemps. Il n’avait pas droit à son espace, il n’avait pas droit à l’égalité face au féminin.

C’était une bataille qui apparaissait entre le principe masculin et le principe féminin. Le tableau ne se nommait-il pas «  La bataille de l’Argonne. » Et tout en étant un tout qu’il fallait prendre comme une expression artistique sans interprétation, selon son auteur,  il réveillait en moi et sans doute en moi seul les archétypes de l’homme et de la femme qui s’étaient installé d’une manière particulière dans la famille qui était la mienne, dans nos familles respectives.

L’homme mâle, l’homme qui engrosse, le principe masculin n’avait pas sa place comme il ne l’avait pas avec la religieuse qui terrorisait les enfants de l’école gardienne et de la première primaire à l’école du village. Comme il ne l’avait pas avec les principes de la grand-mère qui venait sonner le dimanche matin pour rappeler à son voisin de fils qu’il n’était pas convenable de se lever tard le dimanche et qu’il fallait de bonne heure ouvrir les rideaux. Où qui voulait imposer à mon père, son point de vue à tout moment comme elle l’avait toujours fait à ses enfants orphelins de père. Malgré les tentatives d’indépendance du père et des bouderies de quelques jours de sa mère, il n’y avait pas eu abandon d’autorité au fils pour ses enfants, mais une présence constante, et des exigences qui étaient les siennes. La reine mère n’abandonnait pas son pouvoir remis entre ses mains, par les circonstances de la vie. Trop longtemps encore sans doute pour se protéger des nombreuses blessures que lui avait infligées la vie et surtout les absences de son père chéri qui partait pendant de long mois en Russie pour y gagner sa croûte, elle avait construit un profil de femme amazone. Et son fils restait toujours celui qui craignait ses foudres, et le caractère trempé de la petite Laure.

Puis c’était le relais pris par ma sœur dans son aspect de garçon manqué qui voulait jusqu’a pisser sur le mur comme les garçons et qui me poursuivait armée d’un tisonnier, sorte de bâton de fer, pour me faire entendre raison et poursuivre à sa manière l’image que lui distillait la grand-mère. Puis ce fut les aspects de garçon manqué que je retrouvais chez ma fille et les enfants de mes sœurs.

Le nid familial au village nous a coulé dans un mythe masculin qu’il n’est pas possible de conceptualiser car nous en faisions partie. C’est en le quittant que sans doute nous l’avons fait éclater dans certaine de ses composantes mais a une lenteur telle que la question se pose y aura-t-il une fin à cette quête. Faut-il le démonter pièce par pièce, à quel prix. Qu’elle est la pierre d’angle ou la pièce qu’il faut faire bouger pour que plus de liberté règne.

Sans cesse, il fallait revenir a l’ouvrage, un peu comme le mythe de Sisyphe ou le travail recommence non pas dans labeur sans fin,sans sens, mais dans un labeur qui repart  et qui ajoute à la petite ficelle du départ un brin supplémentaire pour en faire un cordage de plus en plus gros de plus en plus fort. Lente migration.

Chacun avançait dans le système familial à sa vitesse et le changement de l’un entraînait les autres. Parfois un signe du passé resurgit pour montrer que les forces en jeu sont puissantes et destructrices si elles ne sont pas clarifiées ou dites dans les douleurs de l’enfantement de l’homme.

Image amusante et anecdotique des vacances de Noël où la fratrie s’est réunie pour la première fois, depuis trente ans, pas loin du site évocateur de Cro-Magnon en Dordogne. Mon frère et mes sœurs nous nous sommes retrouvés à la lumière des bougies pour nous rencontrer à nouveau en famille comme au temps du nid familial. Anecdote du moment, ma sœur dans un geste involontaire, dans la détente supposée de son pied sur un tabouret, m’a presque cogné le sexe comme pour rappeler qu’un combat allait se jouer dans l’espace qui serait le nôtre et que ce combat serait l’affrontement entre l’amazone et la virilité.

Combat toujours mis en jeu de manière inconsciente et qui sous le détour d’un mouvement innocent met en scène le thème qui s’est joue à guichet fermé dans la fratrie et dont je perçois avec peine les différentes composantes du moins dans leur aspect gestuel. Leur aspect intellectuel passe des livres lus, de manière confuse au gré des lectures de nombreux auteurs, dans mes acquis, puis doucement m’indique de plus en plus clairement où est le bat et où il me blesse.

Est-ce pour cela que mon frère aîné a quitté le cercle de famille sans demander son reste le lendemain comme si quelque part, il avait décidé de ne pas affronté la nouvelle donne non dite mais néanmoins présente de la place de l’homme.

L’archétype est constellé dans la fratrie et un mouvement de fond se met en place avec toutes les incertitudes qu’il apporte, les peurs de laisser venir en surface les vieilles blessures. Qu’elle sera la douleur de la rénovation profonde qu’il faut accomplir pour que le fil du passé soit cassé . Le sera-t-il définitivement ? N’est il pas lié à d’autres blessures, d’autres peurs commises en toute bonne foi ?.

Attitudes subtiles, combats qui ne font pas sens et qui se perpétuent, en temps  circulaire et qui reviennent sans qu’on en voie le déjà vu car les yeux ne sont pas prêt à se dessiller. L’usure des protections n’est pas encore suffisante que pour affaiblir et crevasser l’épaisseur de peau qui protège.

Douleurs d’enfants qui sont comme des abcès sous des croûtes à peine fermées et que le sens commun rejette en disant, mais regarde en avant bon sang soit fort, combat, dans une injonction de la tête, qui veut ignorer les messages que lui envoie le corps.  Occlusion construite et enfouie par de nombreux efforts. Puis  par peur d’aller à la blessure, l’on tourne toutes ses forces pour affronter l’ennemi sans voire qu’à ses pieds un énorme élastique, retient d’avancer. Plus on tire moins il y  a d’énergie disponible pour avancer. Le corps et la tête sont dissociés.

Comment affronter la vie en tant qu’homme si la blessure d’amour propre n’a pas été soignée, si l’enfant blessé en soi réclame encore des soins, du baume et détourne à son profit toutes les initiatives qui se prennent.

C’était la prise du pouvoir par les femmes avec l’étouffement de l’homme qui était en jeu, l’enjeu. C’est la mise à terre du principe masculin pour quelques générations, pour des générations de civières. En attendant qu’un réveil se mette en route.

C’est le personnage mystérieux et récurrent de mes nuits qui comme une force obscure, entre dans ma maison et dont je ne peux rien en dire sinon qu’il me fait peur. Qu’il est comme une énergie qui n’a pas encore de nom et de place dans mon individuation. C’est un principe masculin qui se met en évidence et qui surgit de ma personne pour entrer dans mon théâtre personnel pour l’enrichir pour me donner la force, le pouvoir, la puissance qui m’a manquée à des époques de ma vie. À présent, se lève enfin la force pour me dire, pour dire, que je suis une partie de l’univers, que j’ai ma place d’homme parmi les hommes et que je ne suis plus le petit garçon entouré de femmes qui se console comme il convient quand il a six ans.

Peur de s’identifier à l’homme, retenu par les peurs de son enfance, qui laissait les sorcières prendre le pouvoir. La Sœur supérieure, la sœur, la grand-mère, le pouvoir féminin malfaisant qui n’a pas été balancé par la force tranquille de l’homme mâle.

Ne fallait-il pas y voir à nouveau le sens du dessin que mon fils avait fait d’un tronc d’arbre entaillé, blessé,  à mi-hauteur du coté droit et qui renvoyait à la blessure narcissique de mon être mâle en devenir.

Ce dessin gardé précieusement comme reflet d’une problématique du fils venait plus parler à mon inconscient et à la blessure qu’il y avait vue. Mon petit bonhomme de fils m’avait offert ce dessin  en guise de cailloux blanc pour que comme le Petit Poucet, je me laisse prendre dans le chemin de la vie pour en guérir les blessures et que comme on le disait dans un mouvement auquel nous avions adhéré, montrer qu’il fallait aller là où la peur nous disait de ne pas aller.

Aborder une première couche de difficulté, aller un peu plus loin comme on le ferait à l’épluchure des oignons, en  progressant de couche en couche avec les mêmes mots, avec les mêmes idées qui s’élargissent de plus en plus dans des synthèses de plus en plus vaste, dans des prises de conscience de plus en plus profonde se rapprochant douloureusement des noyaux où s’est enfermé le pus et où il faut plonger pour vider tous les abcès.

Alors l’énergie mobilisée pour forclore la douleur sera sans aucun doute disponible pour supporter et affronter au mieux les avatars de la vie.