
Au marché, devant la marchande de fromage de chèvres, à cette heure, juste deux personnes, à l’étal. En prenant mon rang, j’observe les petits gestes quotidiens. « Tiens, la dame qui me précède est venue aujourd’hui avec son récipient en verre, pour emporter son fromage » . Dans mon sac, j’ai aussi deux pots en plastique avec couvercle pour emporter ma commande. C’est un pli que j’ai pris depuis quelques temps, sans doute pour épargner le bout de papier qui sert d’emballage. Ambiance de sobriété de la société d’aujourd’hui, qui tente de changer des comportements indéquats. Écologiquement vôtre. Ce n’est pas tellement le petit bout de papier que j’épargne qui me motive, c’est une histoire de rangement dans le frigo. De cette manière, vu la place disponible, l’empilement sera plus aisé et l’ordre dans celui-ci amélioré.
Mais tiens l’autre cliente est venue aussi avec son petit pot en plastique. Une certaine contagion existe à présent, un petit et infime coup de pouce pour une planète plus propre. A voir ! Absurde même, ce n’est pas suffisant, mais beaucoup s’enorgueillissent en s’attardant sur des futilités.
Par mon petit geste, je suis participant, j’y contribue. Même ? Inconscience ?
Le problème est nouveau pour la vendeuse, tous ces récipients divers, au format inadapté à ses formes de fromage, au conditionnement en pots. Avec une grande pince, elle manœuvre un fromage carré, en talus. Forme bizarre qui distingue visuellement l’objet à vendre mais qui géométriquement ne se prête pas au rangement dans un récipient. Avec celle-ci, elle essaye, recommence l’approche, hésite, tourne avec son outil de 90 degré l’objet récalcitrant pour l’entrer dans cet espace inadapté. Moment d’hésitation, de surprise, ses gestes sont en suspends. Ira, ira pas. Ca y est, un large sourire éclaire son visage, soulagement, le fromage est casé. Elle vient de baliser le trajet idéal pour mettre le fromage en place. Elle est riche d’un nouveau geste.
Petit moment créatif, qui fait sourire la cliente, qui m’emporte aussi dans cette joie pure, provenant d’un nouveau paradigme, d’une solution adéquate qui a présent tombe sous le sens. L’atmosphère entre nous, témoins de l’exploit, est détendue. J’entre dans la conversation. J’applaudi. Le moment précieux est passé, s’est vécu dans une étincelle de joie. Petit bonheur, partagé, cueilli un matin, au début d’une journée de travail routinière, souvent insipide, régulière, comme une mer d’huile. Il n’a pas fallu grand-chose, pour animer cette rencontre marchande et la transformer par cette petite étincelle joyeuse, mémorable même. Moment opportun. Etoile filante dans la grisaille du jour, du quotidien. Il faut peu de choses pour que la joie circule, il suffit d’être pleinement conscient pour qu’elle envahisse.
Ah, si chaque jour était émaillé de ces moments de découvertes d’une nouvelle manière de faire et qu’elle multiplication par rapport au bout de papier épargné. Création d’un moment de convivialité entre trois inconnus branchés sur la nouveauté qui vient d’apparaitre dans leur champ de perception. Moment unique sans doute, étincelle qui met le feu aux poudres. Petit inattendu qui ouvre la conversation autre que celle de la banalité, du quotidien. Joie de l’apprentissage réussi, du tour de main neuf qui s’ajoute à ceux nombreux déjà dont elle doit être capable.
C’est un peu comme sa facilité à manipuler mentalement les chiffres, à additionner les articles commandés avec méthode et agilité mentale, pour comme la machine annoncer le montant de l’addition, sans imprimer les articles, ni demander à la machine de conclure l’addition. Tout dans la subtilité . Alors qu’on voit pointer dans ce qu’ils appellent le progrès, des magasins où l’humain va disparaitre au profit du scan et du paiement électronique, je trouve ce matin le plaisir de la relation, de l’échange, de la découverte, ristourne gratuite offerte par la crémière, simplement, avec grâce.
Joie du marché matinal, de la relation, d’un moment d’humanité, de rencontre.
Tb
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Bien observé et très bien raconté !! Chapeau !
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