Le vol de pigeon.

Poursuivant l’idée d’en faire pour les chaudes journées d’été, un écran solaire pour la terrasse en fin d’après-midi, j’avais donné une forme en poteau à un bout de haie en hêtre pourpre avec, comme 2 excroissances qui ressemblent à des oreilles. A la taille un ancien nid de pigeon s’est découvert.

Totem hêtre pourpre

Avant que les feuilles n’éclatent dans leur couleur de hêtre pourpre, un pigeon s’est posé sur une des branches après un vol plongeon à partir du frêne du fond du jardin.

De la table du déjeuner, je l’avais vu immédiatement et j’observais son manège.

En oscillant la tête, de gauche à droite, il cherchait d’un œil expert à analyser l’état du lacis de branches, comme pour scanner la structure et voir si elle était adéquate pour recevoir son nouveau projet . Ses différents angles de visée devaient lui permettre une vue en 3 dimensions et la découverte de la bonne fourche pour stabiliser son futur nid.

La 2e fois que je l’ai aperçu, son comportement avait changé. Après son atterrissage sur la branche extérieure, il suivait celle-ci vers le cœur de l’ensemble, pour s’élever en recherche d’un autre paramètre de construction, j’imagine.

J’avais affaire à un expert dans sa phase d’analyse du contexte. Étonnant ? Normal ? Dans une si petite cervelle tant de compétences ?

Tiens la fois suivante, de branches en branches vers le haut il était parvenu à l’ancien nid.

Reconnaissance, évaluation, enquête ? Allait-il en construire un nouveau, rénover l’ancien, le récupérer ? Était-ce le sien d’ailleurs, celui de l’année dernière ? Mystère ? 

Ce va-et-vient vers mon totem me passionne. Devant moi se déroulait un processus naturel merveilleux l’établissement d’un nid et le choix d’un lieu de nidation.

Est-ce le rôle du père, de la mère ? Je n’en connaissais pas assez et était loin d’être expert. J’étais seulement observateur du mouvement de vie au bord de ma terrasse.

C’était l’époque de la nidation, il n’était pas le seul. J’avais aussi vu, un rouge-gorge occupé, à récolter des morceaux de feuilles et tenter, de les transporter. Plusieurs fois, il avait lâché sa prise puis plongé vers le sol pour la récupérer. Trop lourde pour sa force, trop encombrante ? Mystère mais je n’avais pas pu suivre l’exercice complet, ni situer le nid. Il avait disparu sans laisser de trace. Je n’en avais vu que la phase collecte dans le coin de ma terrasse.

Le printemps mettait, la gent ailée en branle, il fallait nider, préparer la venue de la génération suivante, assurer sa survivance.

Tiens cette année le nichoir, vide depuis des années est habité. Des mésanges l’occupent.

Les va-et-vient se multiplient. Après l’arrêt, sur une branche à trente centimètres de celui-ci un élan pour un virage à nonante degrés, les voilà au bord du trou déjà, pour nourrir une progéniture apparemment en route. Père et mère, rapidement, alternativement, ils ne chôment guère.

Étonnement après un vol de pigeon qui se pose sur une branche, puis pénètre dans le totem à présent bien rempli de feuilles, un 2e vol atterrit et curieusement 30 secondes plus tard, ils sont deux sur l’ancien nid. C’est une affaire de couple, une visite d’évaluation, une ponte urgente, peut-être. Difficile à dire et avec une échelle, par curiosité, jeter un coup d’œil, je n’y pense pas. Il ne faut pas les perturber. Je dois les laisser faire.

Le mystère s’épaissit comme le feuillage, ils sont bien à l’abri, compétents, experts. Ne survivent-ils pas en tant que qu’espèce depuis la nuit des temps.

Viennent-ils en alternance ? Qui fait quoi ? Quand ? Une seule chose m’importe. Observez le mouvement d’atterrissage sur un bout apparent de branche, signe de vie d’un processus qui se déroule comme partout ailleurs, mouvement à finalité heureuse, celle d’une génération nouvelle. Compétence innée, combien merveilleuse qui se déploie au bout de ma terrasse dans ce totem feuillu. Expression de la vie multiple qui nous entoure et que chaque espèce poursuit selon son instinct, ses paramètres.

Monde merveilleux qui se déploie à travers ces exemples autour de moi

Quand les conditions sont présentes, branchages touffus, discrétion, protection peut être, la vie s’épanouit. Ce n’était pas une haie mais un totem feuillu. Lieu de vie adapté à cette espèce de pigeon.

Après quelques jours sans vol, j’ai aperçu ce matin au déjeuner un nouveau vol et surpris c’est au niveau de l’ancien nid que je le retrouve, grâce au petit vent qui fait osciller les feuilles. Le couple, s’est sans doute fixé là, pour cette nouvelle aventure.

Un mercenaire philosophe.

 Le faire part pour le décès de mon grand frère était sous mes yeux et j’en découvrais la teneur avec étonnement. Ses filles ne l’enterraient pas à l’église locale comme son épouse quelques années plus tôt. 

Sans doute n’avait-il guère la foi. Avait-il seulement été croyant en quelque temps. Je n’en savais trop rien mais faire l’impasse sur l’église me choquait.

 N’y avait-il pas là encore l’absoute, l’ancienne formule de simple bénédiction et quelques prières pour le défunt. Est-ce que ce rite était à présent abandonné ?  

Je n’en savais trop rien car plus pratiquant que lui j’étais, resté dans la tradition des funérailles à l’église, en plus d’être acteur au sein d’une paroisse. 

Le lieu du funérarium m’était inconnu, il faisait partie d’une société de pompes funèbres qui en avait plusieurs à présent comme je le constatais sur l’internet. Celui qui me concernait était situé dans un petit zoning industriel en périphérie, sur le plateau, près de la ville où il habitait. 

Adieu le point de ralliement local, central, à portée des gens de son âge souvent sans voitures. Tout en périphérie, même pour les défunts. Et ce, loin de l’église toujours

centrée sur une communauté. 

Une petite cérémonie de bénédiction était annoncée avant la levée du corps.

Tiens ? Se rapproche-t-on des usages actuels dans les crématoriums ou à un moment de prière est parfois prévu, avec le témoignage familial, dans une sorte d’amphithéâtre autour du cercueil du défunt avec projection d’images et petit discours de famille ou d’amis. 

Espace plus logique pour ceux qui sont en opposition à l’idée de passer une fois encore après le mariage de parents ou d’amis, dans une église, ou impossibilité du choix de musique s’éloignant de la tradition chrétienne. 

Mais qui ferait alors la bénédiction ? Ce n’était pas le curé du lieu car ainsi il se serait tiré une balle dans le pied.  

Qu’elle était le mystérieux orateur chargé de celle-ci ? Un paroissien, un bénévole pour représenter l’église aux funérailles de ceux qui veulent encore un peu de vernis religieux sur leur état de catholiques non pratiquants.

Au fond, les funérariums étaient en train de s’organiser professionnellement pour récupérer du chiffre d’affaires autrefois diffus et bon marché de l’église et de la salle paroissiale, ancien centre de réunions.

A l’heure dite après avoir hésité quelquefois sur la nouvelle localisation de l’endroit, nous rencontrâmes sur place, la famille plus large des cousins, celle qui est peu visible et de moins en moins, avec le temps qui passe. Mes enfants, mes sœurs et leurs enfants, mes et des petits-enfants.

Le cercueil reposait au fond d’une pièce obscure allongée, quelques gerbes l’entourant.

Sur un écran défilaient quelques anciennes photos. Sept, huit chaises étaient à disposition.

A l’heure dite, un inconnu aux cheveux longs, debout depuis quelques temps à l’avant pour remplir sa mission, maître de cérémonie sans doute, sous mandat des pompes funèbres, prit la parole.

Son langage dépassait la simple organisation, prenait une allure d’éloge. Il parlait du passage vers un au-delà chrétien ou intemporel, parlait des options que chacun pouvait avoir face à l’éternité, vague espace de temps où l’on se perd si tant est qu’on existe encore. Il reprenait aussi l’espérance chrétienne, celle d’être en présence de celui que nous honorons et prions.

Son langage respectueux de ceux qui ne croient en rien, était apaisant avec un brin d’espérance ou de désespérance. C’était tout et rien dans l’émotion.

Près de mes sœurs en face de ses filles, j’écoutais, j’essayais de suivre de comprendre quel était le souhait de celles-ci pour l’hommage à leur père, loin d’être un Saint homme, bien distant de l’église.

Aucun témoignage familial ne fut donné, aucun regard sur la souffrance physique qui l’accompagnait depuis des années, Mon frère n’occupait plus au home, lieu de devoir, de soins apportés par ses filles, le personnel, pendant ces années, qu’une place réduite qui l’avait même un jour poussé à appeler les pompiers ou la police pour enfin obtenir, trouver un soulagement physique de ses douleurs fantômes. Et sa manière de fantasmer pour être un homme politique, pour écrire un roman, pour sortir de l’impasse invalidante dans laquelle, il devait vivre avec de moins en moins de capacité, depuis des mois. 

Cet inconnu retraçait quelques éléments de sa vie, la rénovation de bâtiments, qu’il avait entreprise, à son retour du nouveau monde, du Canada eldorado, qu’il avait fui car très attaché viscéralement à son terroir. Sa recherche de vie, de transcendance dans la sculpture, la peinture lors de ses dernières années valides fut abordée mais avec combien d’impasses 

laissées de côté.

Et puis ce bâtiment inadapté à une telle cérémonie ou ceux qui étaient un peu loin dans le couloir ou à l’extérieur ne devaient rien entendre de ce monologue sans doute magistral mais sans un lien effectif. Manquait ainsi l’auditoire correct qui aurait permis à chacun de participer et de rendre à celui qui s’en allait un hommage formel et convivial.

Un Notre-Père et un Je vous salue Marie, furent curieusement récité comme pour donner la fin à cette parenthèse, hors de la tradition. Puis chacun fut prié avant de sortir de s’incliner une dernière fois devant celui qui ne resterait plus que dans nos mémoires

Ensuite à l’invitation du mercenaire, il nous restait, après la levée du corps, de suivre le défunt vers son dernier lieu de repos.

Cadeau mystérieux

À peine engagé dans le jardin avant de la maison de ma sœur, la voisine se mit à gesticuler sur sa terrasse. Surpris par sa vivacité et son intervention, j’ai essayé de déceler le sens de ses paroles et de son agitation. 

Que venait faire en plus le prénom de mon beau frère récemment décédé ? Et puis l’animal dont elle parlait où était-il ? J’essayais de comprendre quand mes yeux tombèrent sur un chien, plus d’apparence de loup que de chien, qui s’agitait lui aussi le long de la clôture au bord de la route. 

Était-ce de cette bête dont elle parlait ? 

Toujours dans le brouillard pour donner sens à l’événement, je lui proposais en désignant l’animal, la présence d’un loup. La seule chose évidente pour moi ; Ce n’était pas un renard. Finalement je ne sais trop de quels mots, de quelle phrase, je compris que mon attention devait se porter au loin, de l’autre côté de la route, dans le champ où les semis commençaient, leur pousse. Là était la raison de son agitation !

Les oreilles dressées, à l’orée d’un bosquet, elles aussi surprise par les cris de la voisine, deux biches regardaient dans notre direction.  Ce n’étaient pas les voitures qui les inquiétaient mais la voix stridente qui essayait de me faire participer au spectacle inattendu de la fin de l’après-midi.

C’était un des plus beaux moments que j’aie à raconter à propos de la vie sauvage environnante et qui était offert à ma sœur ainée, pour son anniversaire. C’était en effet le jour, mémoire de sa naissance, bien des années plus tôt et je me devais moi, son frère cadet de la fêter, en passant la saluer, l’aider à vaincre la solitude dans laquelle le deuil de son mari, grand amateur de photos l’avait plongée.

Quel plaisir, n’aurait-il pas eu, ce beau-frère, à la vue de cette vision inattendue et combien importante, lui qui passait des heures à photographier les oiseaux, sur le versant boisé de la vallée, du fleuve qui coulait, à 1 km à peine. 

Enfin l’intervention de la voisine prenait du sens, c’est à la mémoire du photographe qu’elle s’adressait quelques minutes plus tôt. Devant ce spectacle inattendu, comme un rendez-vous avec son disparu, ma sœur s’empressa, pour mémoriser l’événement, d’aller chercher son GSM pour photographier les animaux et mémoriser l’événement.

Comme un cadeau de l’univers, de son mari, pour l’aider à continuer vaillamment son quotidien de veuve éplorée.  De mon point de vue, ce happening, c’était pour lui offrir en sa mémoire, le meilleur cadeau qu’elle puisse recevoir pour son anniversaire, ce 9 mars.