Mais au fond, pourquoi ce mot smug ? Dans les années70, l’Angleterre était affectée par d’épais brouillards dus à la poussière des foyers domestiques et industriels au charbon. Ce n’était pas le brouillard (fog), c’était un autre phénomène, que les anglais définissaient par smog. L’humidité de l’air qui s’accroche aux particules de poussières. Ne sommes nous pas dans le même scénario, cette fois, ce ne sont pas les résidus du charbon qui font problèmes, ce sont les résidus de combustion de moteurs diesel, les micros, les nano-particules de l’activité humaine.
Un autre mot pour désigner la pollution urbaine, le smug, je le propose dans ce texte pour me situer, pour préciser les sensations qui me traversent en ces jours de confinement.
Ce mot pour désigner tout ce qui perturbe mes sens, tout ce qui se découvre brusquement et qui cachait depuis des années dans mon environnement et que mon corps, inconscient, subissait.
Chaque fois que je sors de la maison, ces jours-ci, pendant le confinement, j’ai l’impression d’entrer dans un nouvel univers, mon pied hésite à prendre son appui sur les marches devant la porte d’entrée. Apparemment ce n’est pas le vertige qui me guette mais, j’ai affiné l’instant, c’est l’absence de bruit de fond qui perturbe mon oreille interne. Il n’y a presque plus de bruit, dehors.
Une observation pour qualifier cette diminution, c’est sans difficulté que j’entretiens avec une autre personne sur le trottoir opposé une conversation qui doit s’arrêter quand un véhicule s’approche. La voix de mon correspondant est gommée le temps de son passage. Le bruit qu’il fait a décuplé par rapport à celui perçu dans le silence environnant. La nuit de Mardi à mercredi, j’ai été réveillé vers cinq heure du matin, par le renard qui glapissait derrière la maison, dans l’ancienne sablière. Cette fois, ce n’était pas un avion en approche d’atterrissage, à cette heure celui venant de Ouagadougou, ou de temps à autre, un avion cargo. Un autre environnement émerge.
Les Antonovs ne passent plus bien haut dans le ciel, avec leur bruit si caractéristique, celui de leurs turbocompresseurs. Depuis un mois, leur signature sonore a disparu du ciel. L’activité économique lourde a fortement baissé suite aux circonstances qui aplatissent l’activité dans notre environnement.
Pas plus tard qu’hier, j’ai retrouvé le bruit très particulier d’une Harley Davidson, qui n’en finissait pas de faire son bruit caractéristique alors que je ne la voyais presque plus, il est vrai que les voitures souvent nombreuses sur la route provinciale se comptaient à ce moment sur la main. Et que dire du clocher de l’église qui sonne les messes et les heures et que j’entends clairement de la maison car les sons des cloches ne sont plus couvert par l’agitation aérienne et terrestre. De nombreux bruits sont perceptibles et émergent cette fois du silence simplement sans effort, donnant un autre relief sonore aux promenades que je m’efforce de faire pour ne pas me polluer le tympan par ces musiques criardes qui se pressent sur toutes les chaines radios comme pour rassurer ceux qui enfin sont confrontés au vide et au calme.
Curieux, il n’y a plus maintenant de communication sur la qualité de l’air, le point a disparu de l’information météo, forcement la qualité est bonne, très bonne. Ce n’est plus une nouvelle qui a de l’intérêt. Il n’y a plus non plus, la liste interminable des bouchons routiers sur tous les axes qui mènent à la capitale ou en ville. Tout le trafic est devenu fluide. Ce mot suffit à définir la situation.
Une sensation relevée un matin me traverse l’esprit. L’odeur des gaz de l’échappement du moteur d’une petite moto, à la fumée bleu émise par son moteur deux temps qui m’avait dépassé pendant mon tour de quartier anti-confinement. Il y avait des lustres que je ne l’avais humée celle-là.
Mon nez n’est plus obligé de respirer un air pollué. Les derniers jours, il s’est nettoyé de la couche de smug qui flotte dans ses recoins.
Trois ans plus tôt lors du retour d’une semaine en Ardenne, j’avais eu la même sensation. L’odeur nauséabonde du trafic de voitures qui remplaçait la force vivifiante des forêts ardennaises. Pic de pureté qui avait disparu le lendemain recouvert, noyé à nouveau par la couche invisible de smug et dont cette ancienne mémoire, engrammée dans mes sensations, venait de revenir à la surface.
Où cette mémoire de l’odeur du gaillet que j’avais partagée à un groupe de connaissance en leur mettant le brin sous le nez et dont personne n’avait connaissance alors qu’il est si simple de la découvrir et d’en apprécié le fumet. N’est ce pas le signe que ce smug a effacé toutes nos sensations olfactives et fermé la porte du nez subtil que nous possédons tous. Seule de fortes odeurs parviennent encore à percer et à se faire connaître.
Mon tête libérée a redécouvert les anciennes perceptions, sans analyse du signal d’insalubrité qui m’était donné et qui me conduisait à escamoter ce danger permanent. La perception olfactive de l’air vicié dans lequel tous les jours, nous baignons, dans notre pays, à la pointe de la technologie du confort, du standing urbain.
L’air est frais, clair, la nuit s’annonce fraiche aussi allons nous faire ce soir, une petite flambée. En revenant de la remise côté jardin mon regard se porte sur le ciel.
Etonnement, Vénus brille comme je ne l’ai plus vu depuis longtemps, il est vrai que la fraîcheur de l’air la rend plus apte à être vue mais ici, c’est comme un coup de massue, un éclatement dans mes yeux qui n’ont plus vu un tel spectacle depuis longtemps dans cet environnement. Une joie profonde me submerge, me renvoie à mon enfance quand Papa nous emmenait au fond du grand verger derrière le jardin pour voir les planètes et les étoiles. Pour décoder les constellations et nous relier à tous ceux qui s’émerveillaient devant un tel spectacle. Voir les Pléiades, le cavalier sur la grande ourse et d’autres qui se sont estompées par l’écran permanent de la télévision. Il n’y a pas que mon nez qui a perdu ses compétences, ma vue aussi.
Lors de ma période de travail, en ville, au 24 étage, à l’horizon, j’observais cette couche indéfinie de polluants divers faisant comme un brouillard et qui flottait sur le paysage vers l’horizon. Brouillard, smug qui s’est sans doute renforcé. Ce lointain souvenir devrait m’apparaître bien terne si je le comparais à la situation actuelle ou à l’arrière fond de certaines images montrant de grandes métropoles.
Va-t-on repartir dans le même tourbillon, la même pollution quand le covid sera jugulé une première fois. Sans doute, l’agitation reprendra, j’en suis sur mais il ne nous lâchera pas si facilement, ce smug. Qui survivra verra.