Le prisonnier inconnu.

Sur la terrasse, dans le coin de la cour de la ferme, devenue logement groupé, nous devisons tranquillement en attendant la tombée de la nuit. L’atmosphère est détendue, grâce à eux. C’est l’anniversaire de son départ, moment difficile, qu’ils nous aident à passer, malgré le temps déjà écoulé. Notre ami se lève et revient quelques minutes plus tard avec en main une petite farde en carton, de la taille d’une enveloppe ordinaire et me l’offre.

Le document ne lui appartient pas, un locataire dont il ne cite pas le nom l’a abandonné à son départ quelque temps plus tôt. Me voilà propriétaire de la correspondance d’un officier, prisonnier de guerre en Allemagne, bien des années plus tôt. Avec précaution, j’ouvre le rabat et découvre le contenu, une vingtaine de message, pliés Le format de ceux-ci est inhabituel, étonnant même. Les trois quarts sont proches du format d’une petite boite d’allumettes, d’une carte de visite. Ils sont couverts d’une écriture fine, serrée, à peine lisible. Aucun n’indice n’apparaît, aucune date. La plupart, à mon grand étonnement, sont rédigés sur des papiers pour rouler les cigarettes, collés les uns aux autres sur la longueur, pour permettre sur cette surface, un échange épistolaire suffisant mais pas trop long. D’autres sur une sorte de papier gras, transparent. Deux origines, un échange épistolaire. Ils n’appartiennent pas au cadre réglementaire des envois de prisonniers que j’ai découvert l’année dernière. Ils font parties d’une messagerie secrète, discrète.

Ce témoignage du passé vient d’émerger et j’en suis témoin, propriétaire, comme signe, mémoire d’un événement vieux de 75 ans en cette année 2019. Le rédacteur a quitté ce monde, sa fiancée aussi probablement. Mais comment se fait-il que ce témoignage intime d’un si long séjour, soit tombé dans l’indifférence, dans l’oubli, que ses descendants n’aient pas eu le moindre respect pour cet homme, qui a perdu 4 à 5 ans de sa vie pour défendre nos libertés, enfermés dans un camp, loin des siens. Que d’espoirs, d’émotions ont été véhiculées dans cette période par l’émetteur, la destinatrice car je le découvre rapidement il s’agit d’un échange épistolaire entre un  prisonnier et sa fiancée :  Francine.

Monde éphémère construit, puis cassé par les circonstances de la vie. L’émotion me touche. Je repense à mon oncle qui lui aussi a été prisonnier de guerre et dont aucune trace n’est restée dans la famille. Histoire dont il n’a pas voulu parler, à son retour en 1945, et nous transmettre son vécu, préférant le black-out sur cette période de jeunesse. Il a comme on dit, tourné la page. Etonné de la proposition de don de cet ami, j’accepte pour témoigner aujourd’hui de cette période sombre qui sombre dans l’oubli et qui peut-être reste enfermée dans pas mal d’inconscient sous forme de fantômes, de comportements qui n’ont pas de sens et qui survivent encore dans les vies familiales. Je n’en veux pour preuve, que celle apportée par mon petit fils lors du petit événement qui s’est développé les derniers mois.

Alors que nous sommes chez eux avec le diner, pour être en tant que grands-parents, soutien de l’absence de leur mère, trop tôt disparue, une grosse mouche sort de la boite de transport du pain de viande  apportée pour le diner, sous leurs yeux ébahis. Catastrophe, les deux plus jeunes refusent de manger, d’honorer le diner qui se termine presque par un jeun.

Quinze jours plus tard, chez nous le plus jeune refuse de manger alors que rien ne vient perturber l’ambiance. Même scénario quinze jours après. L’attitude me surprend, me choque, l’incident n’est pas clos, un passif se promène invisible. Un mois plus tard, à l’anniversaire de l’aîné, le grand-père paternel raconte, le travail obligatoire de son père à la guerre de 14-18, son calvaire, sa nourriture souvent constituée de choucroute et de mouches, expliquant le dégout de sa branche pour ce met étranger et les mouches. Depuis, dans sa famille, ils n’en non plus jamais mangée. Le lien est fait me semble-t-il, le passé ressurgit, l’horreur, l’apparition de la mouche, renvoie à des non-dits passés.

Avec ce cadeau, en lettres, aucun lien ne s’affiche, c’est un écrivain inconnu. A la maison, le lendemain, j’entre dans ce mystère, cette intimité jetée en pâture, oubliée par sa descendance. Aucun indice, jamais dans les lettres de la fiancée, n’apparaît son prénom, c’est simplement « Mon amour », aucune date, aucun détail indentifiable,  le mystère plane. Impossible de faire un lien, c’est un officier, sans doute. Est-il dans un Offlag ? Probablement mais il n’y a aucune mention de lieux. Ils sont 20 du pays, comme il l’écrit. La plupart  sont abandonnés par amies, et fiancées restées au pays.

Les liens entre les correspondants eux, tiennent, vivent apparemment toujours, quelques lettres échangées entre eux, bien pliées, cachées quand les colis pour prisonniers arrivent. Son ordinaire bien maigre s’améliore deux fois, cœur et estomac.

Comment peut-il envoyer du courrier, par quels moyens ? Aucune réponse, à cette question n’apparaît. Est-ce son journal de bord, des lettres platoniques qui auraient du être envoyées ?  Mystère. Protection surtout car retracer par des indices, le lieu où loge l’expéditeur, l’expose a des sanctions. Prudence maximum. Ses lettres ne sont pas signées mais il termine par « Ton homme qui t’aime. »

Lettres qui s’adressent à tous ne laissant aucun lien dangereux.Il s’épanche, entretien un amour platonique, il exprime combien la présence physique de l’aimée lui manque. Leurs fiançailles juste avant la guerre se prolongent, s’allongent sans vue sur le terme que suspend la guerre.

Il rêve de la revoir, mais les mois s’écoulent, pareils à eux-mêmes, quelques infos, sur l’activité du camp  mais l’essentiel est l’entretien de la braise de leurs cœurs. Moments intimes que je salue avec respect, que je mesure digne d’une conclusion final, heureuse, d’un mariage. Alors qu’autour d’elle la naissance d’un enfant dans un couple familial se passe dans la joie. Il pense au parrain de leur enfant,  à son ami Jean, ce sera lui, le parrain potentiel, si elle est d’accord,  si sous entendu, certain, ils se marient. Lorsque la guerre sera finie.

Mondes qui s’éloignent de plus en plus, sentiments, frustrations qui s’immiscent dans leurs cœurs,. Plus d’un proche se retrouve seul et abandonné, les liens sont rompus, les punissant une deuxième fois. Moments intimes qui montrent la souffrance du quotidien, le manque physique de nourriture, de confort, et au pays la vie qui coule presque normalement lui semble-t-il. Drames qui lézardent les valeurs des uns et des autres, moments dramatiques dont des traces bien concrètes sont à présent sous mes yeux.

Que vit-il ? Que vit-elle ? Ils ont rejoints les «  Prisonniers inconnus » dont pas mal de textes témoignent encore, parfois et que l’on trouve abandonné à gauche et à droite. Le monde se reconstruit, s’est reconstruit mais quel gruyère dans les inconscients de ceux qui sont partis, de ceux qui sont restés et qui n’ont pas tenus paroles.

Que les mots puissent être exprimés par ces témoins pour que les maux n’accablent pas leurs descendants, maux bien plus prégnants que l’histoire de la grosse mouche.

Vacance d’hiver.

Cette amie d’écriture avait été la première à m’envoyer ses vœux pour Noël. Sa fidélité, sa compassion m’avait toujours touchée. Cette année, son écriture manuscrite sur l’enveloppe m’était apparue comme d’un autre temps. J’en avais été étonné. Ah ! Quel plaisir de retrouver la personne à travers un témoignage écrit de sa main, loin de la froideur et de la forme figée, raide donnée à présent, par les applications de courrier des PC. Il me fallait répondre avant Noël pour à mon tour lui dire combien sa démarche m’était importante.

La réserve de cartes de Noël avait disparu du tiroir de rangement, la réassortir était nécessaire. À pied, je m’étais rendu au supermarché voisin, mais l’offre était quasi nulle juste, ciblée uniquement sur les anniversaires, les fêtes de famille. Quelques-unes pour la bonne année, d’autres pour les vœux, ou pour les fêtes. Noël était oublié. J’étais rentré bredouille.

Le lendemain, à pied de nouveau, au centre commercial, l’offre y était tout aussi réduite. La carterie avait fermé deux ans plus tôt et aucun présentoir n’était à disposition à la librairie. Au supermarché, quelques cartes de nouvel an, universelles et vagues, neutres et insipides, m’avaient écarté. Rien au sujet de Noël, de la crèche et des paysages en neigé. Ma tradition me manquait. Je me contentais d’une carte avec quelques boulles de Noël.

Nous avions baissé les bras, abandonné nos demandes de cartes de tradition. D’où leur disparition.

La fébrilité de la société en cette fin d’année n’était tournée que vers les cadeaux à glisser sous le sapin. La publicité nous remplissait de proposition d’achats gourmets.

La phase d’une chanson de Johnny Hallyday, qui avait occupé l’antenne plusieurs jours avant, résonnait dans ma tête. « Allumer le feu. » Mais comment allumer le feu ? cette proposition servait de leitmotiv à mon souhait, à mes souhaits.

Un besoin de chaleur et de lumière m’habitait. Le mois de décembre, le plus grisâtre depuis longtemps, disait la météo, me pesait. J’avais besoin d’espérance, de lumière ce que proposait les Noëls anciens. Ils défilaient dans ma tête.

C’était la naissance de Jésus. Elle n’occupait plus l’esprit des gens, pourtant il y avait une naissance, remplie de possibles, de différences de toutes sortes, de nouveautés, d’attentions diverses. L’idée de répartir après l’hibernation, le déficit de lumière et de se relier à la longue série de Noël, passé en famille, avec les miens, dans la simplicité et la convivialité m’animait. L’échange de vœux au coin du feu, autour de la table, plus dans la conversation que dans l’assiette m’inspirait. « Allumer le feu. »

Rechercher en réserve, les bons moments et les partager pour tenir encore les mois d’hiver qui nous séparaient du printemps. La couleur verte de l’espérance qu’apportait le sapin, ne semblait présenter plus une forêt d’éternité que les cadeaux placés au pied du sapin.

Dans la rue au retour, car la nuit était déjà tombée, je voyais les façades de certaines maisons éclairées de guirlandes comme pour rattraper le peu de convivialité donnée dans l’année. Cherchaient-ils inconsciemment l’étoile qui les guiderait dans le fouillis de propositions éphémères de fin d’année, vendues avec des ristournes improbables.

Que de déplacement pour une carte de vœux traditionnels. Joie perdue, d’attendre le passage du facteur, de compter le nombre de cartes reçues du cercle d’amitié trouvées au fond de la boîte aux lettres.

Tout devient virtuel, ce ne sont plus que les « pings » qui résonnent sur le PC dans le coin du salon, signal d’une nouvelle entrée, d’un autre mode de vie plus technique, plus virtuel.

Je reviens avec plaisir à ces trois mercredis de l’Avent et au chant « Rorate Caeli Desuper, » « Cieux, répandez votre rosée.. ». A l’aube, après avoir parcourus des rues désertes, j’entre à l’église en suivant les seules bougies qui éclairent la nef pour rejoindre la crypte. Avec quelques-uns, nous fêtons l’Avent, préparant Noël, déjeunons avec la petite communauté paroissiale pendant que l’aube se lève sur une nouvelle journée.

Noël est un trésor qu’il faut chercher, une espérance qu’on peut habiter car elle nous propose plus qu’un gavage. C’est un creux à habiter, à remplir pour y puiser la force et la lumière qui va éclairer cette nouvelle année qui s’annonce ouverte à tous les possibles, toutes les rencontres, toutes les espérances. Pour cela, il faut des balises, des repères. C’est l’essence même de Noël et avec une pointe de Foi, la route sera meilleure.

Avec le poète Guillevic.

De l’hiver (Extrait)

Il y a toujours
Noël qui arrive.

Il y a toujours dans le plus noir des noirs,
De la lumière à supposer,

A voir déjà monter,
Même en dehors de soi,

Surtout lorsque la nuit où l’on patauge
Est la plus longue.

C’est un tunnel sans voûte
Qui débouche

Dès maintenant

Sur un enfant de lumière.