Paroles d’homme.

Que pouvait encore m’apporter cette heure de monologue avec la psychologue ? Qu’est ce que cela m’avait déjà apporté?

Les idées négatives à ce sujet se pressaient dans ma tête et seul un événement émotionnant de la semaine dernière trouvait intérêt à mes yeux pour justifier l’entretien qui allait suivre. Autant parler de celui-ci que de me poser des questions sur le sens global de la série d’entretiens!

D’entrée de jeu, je posais mon problème sur la table.

Lors d’un tour de table dans l’ambiance solennelle d’une grande réunion, j’avais à mon tour énoncé une bêtise, un non sens me plaçant de manière idiote dans la position de celui qui gaffait pour recevoir une attention.

Cela ne s’était pas fait attendre, sous une forte gestuelle, le conseiller général de la boite m’avait mimé, là en face de moi, son point de vue, sur mon intervention. Tout était dit. Le jugement exprimé m’avait pris au vol et enfoncé dans le sentiment d’être gaffeur et incompétent.

Pourtant mon schéma de réponse écrit en attendant mon tour, faisait sens. Prudent, rédigé en quelques mots, il m’avait l’air d’être sinon passe-partout du moins neutre et sujet à approbation. Mais voila, la panique s’était emparée de moi, mes idées s’étaient mêlées et seule la bêtise avait eu droit à la parole. J’avais fourni à ce conseiller, le bâton pour me faire battre. Mais pourquoi ?

Quand je présentais des textes avec fautes à mon patron en lui donnant l’occasion de me faire des remarques sur mon incompétence écrite, j’agissais aussi de cette manière ! C’était présenter un aspect négatif de moi-même. Je fournissais l’arme. Mais pourquoi ?

Comme si ce mode de vie s’était inscrit à un certain moment dans mon comportement alors qu’honnêtement, je disposais des moyens intellectuels que pour éviter ce genre de choses.

Les interventions que je devais faire en public réveillaient de toutes manières les bases d’une insécurité fondamentale. Je ne pouvais pas simplement prendre ma place dans le cercle des gens qui parlent, sans déclencher en moi sueurs froides, battements de coeur ou émotions fortes. Etats paralysants qui m’empêchaient souvent de lancer, dans le débat, mon simple point de vue .

Je restais sans mots avec en tête l’impression de courts-circuits, de blocages intellectuels paralysant ma pensée.

Où restait ma parole, où se situait mon avis, ma place ?

« Lancer sa parole dans le cercle du débat est comme un acte viril de fécondation des échanges entre personnes. » me dit la psychologue.

Cette réflexion faisait sens, non plus intellectuellement en tant que concept mais s’insérait dans mon quotidien et ne l’avais-je pas déjà formulé par écrit la veille à ma manière.

L’ordre de mes idées dans ce texte ne reflétait plus la réalité, mais y avait-il la nécessité de le maintenir alors qu’il était question maintenant d’association autour d’un thème – la virilité- tant dans sa dimension physique, que dans sa dimension symbolique.

Non, non j’allais d’un niveau à l’autre passant d’éléments concrets de ma vie, à des impressions pour ressentir les nombreuses cohérences. Ces éclairages sur celles-ci prenaient un sens, mon attitude vitale se disait, s’expliquait.De nombreux exemples se mettaient en ligne pour indiquer clairement où se situait dans mon développement ce problème maintenant clair de la castration par mon entourage, par moi-même.

Castration et peur étaient liées, nouées, empêtrées, l’une dans l’autre ce qui faisait la raison de mon blocage verbal. Prendre ma place était difficile car il fallait comme cette parole lancée en public être acteur, quitter une zone de sécurité, un appui.

Je ne pouvais jaillir dans la vie car j’étais dans le repli, dans la crainte d’être castré. L’état de ma santé sexuelle à ce niveau ne demandait pas plus d’explication, elle attestait simplement de l’état de régression à la période de l’enfance. Je retournais vers mes racines, et la peur primordiale.

Qui castrait qui ? Qui castrait quoi ?

Au fur et à mesure de la conversation qui s’animait, je réalisais que ma grand-mère, avait été dans notre enfance, pour mon père et pour moi, la grande castratrice. Elle avait par tous ses comportement essayé de nous rendre neutre, insipide dans nos actions par ses nombreuses interdictions et sans doute aussi, muet, dans l’expression de nos particularités, de nos richesses.

Qu’avait-elle fait de nos dynamismes d’enfants et d’adolescents avec toutes ses flèches d’interdictions ? D’être le second, après un frère envahissant, j’avais subi et accepté de la part de mon aîné, un étouffement.

Ne m’étais-je pas aussi moulé dans le rôle de l’enfant, dans celui qui sage comme une image, ne faisait pas sa crise d’adolescence, ne courant pas par monts et par vaux, ne fréquentant pas les filles, n’affrontant pas les périls du monde.

N’avais-je pas été coupé de mon être profond en acceptant d’être castré de mes impulsions propres pour faire ce qui était bien dans les yeux de mon père et de ma mère.

N’avais-je pas aussi, un certain jour d’enfance, manipulé une pince a mâchefer, pour me pincer chez ma grand-mère, le sifflet. Mon petit sifflet comme elle disait pour mettre en scène cette castration  qu’elle me faisait subir par ses attitudes. sans compter celles des parents et du frère.

N’avais-je pas accepté de la part de mes tuteurs, la  position d’étouffement de mon sexe, d’objet à maîtriser et à dompter car dangereusement fécondant comme la parole. Il m’a coupé le sifflet disait, dans mon enfance, quelqu’un qui s’empêchait de parler. Transfert de l’acte au niveau acceptable du symbole.

Fallait-il voir dans  les champignons qui se baladent à l’aine depuis l’adolescence, la tentative d’exprimer cette peur latente de la castration à l’endroit où se situait mon problème. Mycose impossible à traiter par les pommades et poudres prescrites plus d’une fois par la faculté.

Jeune marié n’avais-je pas été maintenu par ma femme loin de mes pulsions sexuelles et sociétales ou n’avait-elle pas maintenu en place d’une certaine manière l’état de dépendance et de soumission – faire plaisir- dans lequel je m’étais placé.

N’avais-je pas aussi été perturbé cette infection du frein à la verge avec laquelle je me débattais d’une manière  épisodique. N’était-elle pas elle aussi comme une expression de ma souffrance intime de ne pas être dans l’état de virilité que je souhaitais.

Sept 1999—J20-130999

Placer la voix.

« Que les ténors se placent ici à ma droite, que les basses se mettent à gauche et ensuite les altos au centre. » Incapable de me situer par ignorance de cette échelle de voix, j’hésitais figé sur ma chaise. Fallait-il frimer faire comme les autres me porter dans un des groupes ou rester cloué sur ma chaise dans une immobilité honteuse. Je n’avais pas su me décider ! Qu’est ce que j’étais venu faire dans cette galère. Qu’elle était ma place dans cette communauté, dans toute cette organisation. Pour ma première participation, ce n’était pas fameux. Quel langage utilisaient-ils ? Etait-ce pour moi ?

A la réunion suivante en entendant les mots « communauté » et les louanges de chacun face à celle-ci, je me trouvais distant et septique.

Ne venait-il pas d’accueillir un tel et un tel en laissant dans l’oubli quelqu’un qui n’était pas parrainé et qui aurait eu aussi droit à cet accueil. Pourquoi n’accueillait-t-il pas tous les nouveaux en une fois, en suscitant la réaction de ceux qui arrivaient. « Levez une main, les nouveaux ! » C’était si simple. Leur langage créait des exclusions. Bien sur, toute organisation a des failles.

Chacun devait à présent prendre dans un panier un menu objet qui y était disposé, feuille séchée, fruit sec, papier coloré, mandarine, bout de chocolat et rechercher dès que chacun avait le sien, dans le groupe les personnes portant le même objet pour faire une petite communauté de partage. Là enfin la démarche était porteuse de communauté. Le hasard constituait nos groupes de discussion.

Dans le partage qui suivait, chacun exprimait ses impressions. J’en profitais pour dire que la fois précédente, l’exclusion m’avait cloué au mur, que je m’étais senti rejeté, faute de savoir la nature de ma voix.

La communauté oui mais pas au prix du rejet ou de l’oubli de ses nouveaux membres. Si possible que chacun veille sur les autres, mais est-ce si facile ?

Lors du deuxième partage de l’après-midi, à nouveau autour du petit groupe, j’entrais dans le jeu proposé et comble vu ma réaction du matin une participante du groupe me demandait de tenter une expression par le chant. Mon bavardage du matin n’était pas tombé dans l’oreille d’une sourde. Puisque je ne savais pas chanter, je chanterais donc. En avant pour l’aventure, pour la sortie des chemins surs et bien connus.

Dans ma mémoire, toute histoire, tout texte avait disparu sauf un ou deux vers d’une de mes chansons préférées. A mon tour, je me lançais avec une voix hésitante, mal assurée. C’était une véritable catastrophe. Ma voix fluctuait, hésitait. « Oui tu dois prendre ta voix. Tient autrement ton cou, il doit être placé d’une autre manière, me disait l’oreille fine et musicienne qui m’avait mis au pied du mur pour cet exercice de vocalise.

« Fais un deuxième essai, tu dois pouvoir faire mieux. »

Pour la deuxième fois dans ce petit groupe sympa, rassemblé dans un petit local très discret, je me lançais pour essayer de sortir un son valable. Au milieu de la phrase, j’eus la sensation que ma voix prenait une place à un endroit différent et plus bas qu’où j’essayais souvent vainement de faire sortir un son convenable. Ma voix n’était plus dans, derrière ma pomme d’Adam mais plus bas. Le son m’était plus agréable, il était plus assuré, plus plaisant. Néanmoins à court de mot, sur le texte court que j’avais en mémoire, la chute fut brutale.

Une nouvelle impression s’était glissée en moi. Dans le passé, je n’avais pas pris ma voie, ma place, ma voix. Je me taisais souvent, submergé par mes émotions et empêché par ma retenue, par un frein quelque part dans mon attitude, dans ma gorge.

N’était-ce pas là que poussait il y a un an, encore cette foison de verrues, qui repoussaient à peine carbonisées par le médecin.

Je n’avais pas pris ma place, ma voix ne dominait pas l’ambiance de famille pour je ne sais quelle raison du passé, mon assurance vacillante m’avait placé du coté des taiseux.  N’avait-t-il pas raison mon fils de me dire il y a quelque années que j’étais au portemanteau.

Moi qui rêvais de communiquer avec mes enfants, de leur exprimer des tas de chose la plus part du temps à table, je n’avais rien dit, ne profitant pas de ces moments privilégies pour exprimer des choses pour leur apprendre à parler, à se parler, à s’exprimer, à se dire.

Depuis la mort de mon père, j’imaginais les choses que j’aurais pu lui dire, lui exprimer. Lui m’aurait compris, mais je n’avais rien dit, à cause de cette chape de plomb qui pèse sur la famille et qui fait que l’on s’y tait. Aurais-je pu lui parler moi qui n’ai pas fait le deuil du père.Toute tentative aurait été vouée à des larmes de tristesse. Pour les éviter, je me taisais, alors maintenant brusquement me mettre à table, était-ce possible sans une voix assurée, sans entrer dans des émotions, sans rencontrer les émotions toujours  évitées. Voilà, il faut que je parle que je me dise, non pas que je m’écrive car la parole ouvre des portes, permet la vraie rencontre,

Il ne reste plus qu’a attendre ou provoquer cette fameuse conversation.

Octobre98