Placer la voix.

« Que les ténors se placent ici à ma droite, que les basses se mettent à gauche et ensuite les altos au centre. » Incapable de me situer par ignorance de cette échelle de voix, j’hésitais figé sur ma chaise. Fallait-il frimer faire comme les autres me porter dans un des groupes ou rester cloué sur ma chaise dans une immobilité honteuse. Je n’avais pas su me décider ! Qu’est ce que j’étais venu faire dans cette galère. Qu’elle était ma place dans cette communauté, dans toute cette organisation. Pour ma première participation, ce n’était pas fameux. Quel langage utilisaient-ils ? Etait-ce pour moi ?

A la réunion suivante en entendant les mots « communauté » et les louanges de chacun face à celle-ci, je me trouvais distant et septique.

Ne venait-il pas d’accueillir un tel et un tel en laissant dans l’oubli quelqu’un qui n’était pas parrainé et qui aurait eu aussi droit à cet accueil. Pourquoi n’accueillait-t-il pas tous les nouveaux en une fois, en suscitant la réaction de ceux qui arrivaient. « Levez une main, les nouveaux ! » C’était si simple. Leur langage créait des exclusions. Bien sur, toute organisation a des failles.

Chacun devait à présent prendre dans un panier un menu objet qui y était disposé, feuille séchée, fruit sec, papier coloré, mandarine, bout de chocolat et rechercher dès que chacun avait le sien, dans le groupe les personnes portant le même objet pour faire une petite communauté de partage. Là enfin la démarche était porteuse de communauté. Le hasard constituait nos groupes de discussion.

Dans le partage qui suivait, chacun exprimait ses impressions. J’en profitais pour dire que la fois précédente, l’exclusion m’avait cloué au mur, que je m’étais senti rejeté, faute de savoir la nature de ma voix.

La communauté oui mais pas au prix du rejet ou de l’oubli de ses nouveaux membres. Si possible que chacun veille sur les autres, mais est-ce si facile ?

Lors du deuxième partage de l’après-midi, à nouveau autour du petit groupe, j’entrais dans le jeu proposé et comble vu ma réaction du matin une participante du groupe me demandait de tenter une expression par le chant. Mon bavardage du matin n’était pas tombé dans l’oreille d’une sourde. Puisque je ne savais pas chanter, je chanterais donc. En avant pour l’aventure, pour la sortie des chemins surs et bien connus.

Dans ma mémoire, toute histoire, tout texte avait disparu sauf un ou deux vers d’une de mes chansons préférées. A mon tour, je me lançais avec une voix hésitante, mal assurée. C’était une véritable catastrophe. Ma voix fluctuait, hésitait. « Oui tu dois prendre ta voix. Tient autrement ton cou, il doit être placé d’une autre manière, me disait l’oreille fine et musicienne qui m’avait mis au pied du mur pour cet exercice de vocalise.

« Fais un deuxième essai, tu dois pouvoir faire mieux. »

Pour la deuxième fois dans ce petit groupe sympa, rassemblé dans un petit local très discret, je me lançais pour essayer de sortir un son valable. Au milieu de la phrase, j’eus la sensation que ma voix prenait une place à un endroit différent et plus bas qu’où j’essayais souvent vainement de faire sortir un son convenable. Ma voix n’était plus dans, derrière ma pomme d’Adam mais plus bas. Le son m’était plus agréable, il était plus assuré, plus plaisant. Néanmoins à court de mot, sur le texte court que j’avais en mémoire, la chute fut brutale.

Une nouvelle impression s’était glissée en moi. Dans le passé, je n’avais pas pris ma voie, ma place, ma voix. Je me taisais souvent, submergé par mes émotions et empêché par ma retenue, par un frein quelque part dans mon attitude, dans ma gorge.

N’était-ce pas là que poussait il y a un an, encore cette foison de verrues, qui repoussaient à peine carbonisées par le médecin.

Je n’avais pas pris ma place, ma voix ne dominait pas l’ambiance de famille pour je ne sais quelle raison du passé, mon assurance vacillante m’avait placé du coté des taiseux.  N’avait-t-il pas raison mon fils de me dire il y a quelque années que j’étais au portemanteau.

Moi qui rêvais de communiquer avec mes enfants, de leur exprimer des tas de chose la plus part du temps à table, je n’avais rien dit, ne profitant pas de ces moments privilégies pour exprimer des choses pour leur apprendre à parler, à se parler, à s’exprimer, à se dire.

Depuis la mort de mon père, j’imaginais les choses que j’aurais pu lui dire, lui exprimer. Lui m’aurait compris, mais je n’avais rien dit, à cause de cette chape de plomb qui pèse sur la famille et qui fait que l’on s’y tait. Aurais-je pu lui parler moi qui n’ai pas fait le deuil du père.Toute tentative aurait été vouée à des larmes de tristesse. Pour les éviter, je me taisais, alors maintenant brusquement me mettre à table, était-ce possible sans une voix assurée, sans entrer dans des émotions, sans rencontrer les émotions toujours  évitées. Voilà, il faut que je parle que je me dise, non pas que je m’écrive car la parole ouvre des portes, permet la vraie rencontre,

Il ne reste plus qu’a attendre ou provoquer cette fameuse conversation.

Octobre98

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