Nouvelle décennie en vue.

La tension nerveuse entre nous était à son comble, d’un niveau rarement atteint. Nous étions comme chien et chat et pour le moindre détail, c’était l’échange verbal stérile et agressif. Nous déchargions notre stress l’un sur l’autre.

Cette circonstance me peinait beaucoup et j’essayais d’y trouver du sens, de comprendre ce qui n’allait pas pour y remédier.

Mais était-ce possible ?

Le mal était aussi chez elle physique. Chaque aliment qu’elle consommait était après un certain temps remis en question. Il était la cause de ses douleurs au ventre, de ses courses régulières pour vider ses intestins de ses humeurs. Seuls des granulés homéopathiques semblaient atténuer l’espace d’un moment. Ses visites médicales régulières chez un pour ses articulations, chez l’autre pour ses infections multiples et récidivistes, chez le troisième pour je ne sais quoi car elle se cachait n’entrait pas dans la mise sur la table de son mal être car il y en avait, manifeste bruyant agressif.

Il fallait aussi ajouter cette propension morbide à veiller une grabataire, plus bas au home avec une autre bénévole de ses amies. Devoir d’intervenir à la fois pour apaiser la douleur de celle qui ne voulait pas mourir, d’humeur souvent revêche et qui malgré cela l’attirait pour un bénévolat d’apaisement fraternel, difficile à saisir, où elle était mêlée avec cette amie. Mission périlleuse de compassion.

Et pour couronner cette ambiance difficile à gérer, à accepter se profilait à grands pas, à l’horizon, la fête qu’elle s’était promise pour marquer en famille dignement, le passage du cap de sa nouvelle décennie. Évènement organisé pour être dans la vie comme elle disait. Sans doute aussi pour sortir de l’atmosphère difficile dans laquelle son état de santé, ses maux de ventre l’avaient plongé. Antidote, remède, j’osais l’espérer.

Rien ne tournait rond.

Tant bien que mal, je m’en protégeais dans l’incompréhension, l’impuissance car mes interventions quelles qu’elles soient été suivie de ses colères, de la décharge de ses frustrations. Au lieu de passer un temps serein, de profiter des jours qui s’écoulent malgré nous sans doute, de se faire du bien.

Après une idée, une autre suivait. Agitation, battements de mains comme pour s’enfouir des remugles qui s’agitaient dans son quotidien.

Trois jours avant la date de la grande fête, elle prit la décision d’annuler celle-ci. Un fait l’avait submergée. Elle n’avait pas l’appui sur lequel depuis des années elle comptait, celle de notre aînée décédée. Son absence s’était marqué de plus en plus jusqu’au moment où elle ne résista plus à ce manque et annula tout.

Comme par magie, sa tension nerveuse se libéra, ses angoisses disparurent. Elle quitta les eaux troublées, agitées du dernier mois pour entrer dans un lac de quiétude. Elle était guérie de son agitation. Ses maux de ventre semblaient s’apaiser. Son sommeil devint plus régulier, la tempête était passé.

Elle reporta sa fête à Pâques.

Résurrection, reprise en main, sortie de crise. Notre plus jeune fille dont l’anniversaire était le jour suivant le sien semblait aussi à cran. La petite fête autour d’un repas avait été décevante, les tensions dominées. La joie simple de la découverte et de la rencontre dans un bar à sushi qu’ensembles, nous découvrions s’étaient évanouies.

Distance prise par la plus jeune par rapport aux humeurs de sa mère.

Cordon ombilical de la lignée des mères qui est en train de se couper?

L’idée de cette lignée revenait dans mon champ de perception . Et si tout ce qui se vivait chez elle maintenant n’était que la décharge des émotions reçues de sa mère quand la grand-mère à 30 ans dut, après une longue lutte pour rester en vie, abandonner et quitter ses enfants.

Mois de Mars qui rappelle les liens ancestraux blessés, de cette lignée de femmes touchée par le destin et qui n’ont jamais été exprimés sinon par les mots qui s’expriment maintenant dans les visites à cette moribonde, image de la mère souffrante qu’il était impossible d’aider, qu’il faut laisser partir car c’était sa vie pas la sienne.

Transmission à décanter, à rendre à ses propriétaires, consciemment.

Séance de Kinésiologie.

Au début de cette nouvelle séance de recherche personnelle, une impression de tristesse s’était glissée dans mon humeur et ma voix se portait en témoin de cette émotion. Ma respiration laissa transparaître comme de temps à autre, ouvertement un sanglot tout à fait particulier. Une parenthèse vite maîtrisée et l’émotion disparut tout en laissant une trace auditive dans ma mémoire.

Après un échange verbal, suivant sa technique, je fus embarqué dans une régression dans le temps pour passer après un arrêt à 33 ans. A l’énoncé de la période d’age, ma thérapeute recherchait dans mes tensions musculaires les raideurs ou les influx nerveux qui pouvait signifier un point de raidissement et un événement douloureux

Les événements qui s’étaient passés à cet age là me semblaient tout à fait inaccessibles et j’essayais vainement de retrouver un fait marquant de cette période sans trop y arriver d’ailleurs, ni par l’age des enfants, ni par le boulot. Aucun événement ne perçait le voile recouvrant mes souvenirs. N’était-ce pas mon premier lumbago qui s’affichait ainsi comme événement marquant.

L’hypothèse était plausible sans cela être déterminante et je laissais faute de mieux voguer mon imagination sur cette idée acceptable.

Ce bref arrêt sur le palier du temps, se poursuivit cette fois vu l’épuisement du sujet par une nouvelle plongée qui cette fois se situa vers l’age de 7 ans. Quel était l’événement. L’école primaire, en deuxième année. Oui c’était la date de mon changement d’école pour l’entrée à l’école des garçons dans la classe unique du village avec un instituteur dont la taille me semblait celle d’un géant. Le temps passé, des faits, de cette époque, rien n’évoquait un événement important. Pour accrocher l’un ou l’autre souvenir, je répétais plusieurs fois non pas mon age, mais l’année de l’événement, 1951, 1951 pour tester une autre approche .Que s’était-il passé en 1951. Ce passage par le millésime me raccrocha immédiatement à mes recherche généalogique et à la date du décès de ma grand-mère maternelle. et à la tristesse qui avait certainement été vécue par ma mère. Était-ce le but de cette glissade dans le temps.

Sa mort me renvoyait à la tristesse de ma mère que j’avais ressentie à la vue de la peinture de Magritte reprenant la silhouette d’une femme statue, habillée d’un manteau et exprimant me semblait-il comme le confirmait ma soeur la tristesse de maman.

Un spasme régulier, de deux à trois centimètres se marquait exactement à l’endroit d’où partait mon lumbago.

C’était comme si les deux dates prenaient sens, l’une pour introduire le mal de dos et l’autre la source du mal, du mal être que je portais depuis si longtemps.

Tristesse d’un enfant partageant la douleur de sa mère, la portant sur ses épaules dans une sympathie fusionnelle, comme un cordon ombilical de tristesse me reliant à elle, alors qu’a cet age j’aurais du être l’enfant joyeux, sans soucis rempli de joie. « Tristounet ». le mot qui avait résonné à mes oreilles un jour par surprise, dit j’en suis sur par la cousine Suzanne venant visiter ma mère prenait son sens. Ma tristesse était aussi celle de ma mère.

La séance se terminait par une recherche d’image positive, d’un enfant de cet age profitant de la fête  pour se laisser entraîner  dans la ronde joyeuse du carrousel villageois. Fête de mon enfance qui ont été noyée dans un fond de tristesse, fête qui ne pouvaient se vivre dans la liberté et l’enthousiasme.

Tristesse que je portais par symbiose et qui expliquait tout un ensemble de vécus ultérieurs. Blocage de l’insouciance pour participer à la tristesse latente que je voyais sur son visage, que je ressentais dans ses humeurs, dans son non dit. Présence la plus fréquente pour faire plaisir et faire disparaître la trace de ses yeux en larmes.

Le spasme à la hauteur du coccyx se poursuivait comme un métronome, avec sa pulsion régulière d’un minuscule coeur battant à l’unisson.

Le calme qui suivit cette séance me conduisit a l’association de mon sanglot du début et du sanglot de ma mère. Nous avions c’est sûr le même sanglot. Par mimétisme, pour marquer mon lien, mon soutien à sa peine,  j’avais copié son appel muet couvert de tristesse remplaçant les mots non-dit, non pleuré, enfermant l’émotion.

Le puzzle de cette émotion était en place, cet age, ce lumbago hérité d’une charge trop lourde pour mes épaules d’enfant, sa tristesse, la mienne aussi sans doute tout tournait autour de cette peine non-dite.

Toute la tristesse du monde était sur mes épaules , sa tristesse la mienne aussi sans doute à propos d’une mort qui me dépassait, douleur qu’il faut cacher, douleur pesante, douleur puissante, douleur à rendre, consolation à prendre. Joie de dire, joie à partager.

G29