Pulsations.

Pour la deuxième fois, j’entrai dans son atelier de respiration pour une séance de soins, pour être accompagné dans la recherche d’un mieux-être et mettre un terme à cette toux irritante qui m’avait tant épuisé l’hiver dernier. Spécialiste du souffle, elle devait maîtriser les techniques me permettant, du moins, je le supposais de dissoudre ce réflexe violent montant de dessous ma côte gauche, en aboiements.

Toux sèche qui résonne interminablement sans pouvoir s’arrêter et qui m’avait lors d’un début de bronchite en Février conduit à un blocage de respiration.

De la première séance trois semaines plus tôt, je me gardais que peu de souvenirs sinon au bas de la colonne, le réveil de la zone sensible d’où partent mes lumbagos successifs et la matérialisation autour des vertèbres sacrées d’une sorte de gaine, de manchon décalé de l’axe et indiquant un réveil cellulaire.

La respiration forcée ne m’avait pas conduit dans des démonstrations excessives et bruyantes, comme je l’avais imaginé. Il n’y avait eu, ni cris, ni sanglots, ni larmes comme parfois décrites dans la presse. Tout avait été sous contrôle, mon mental était resté le maître.

Spontanément pendant l’échange avant de plonger dans la séance, elle m’avait donné, pour la seconde fois, le nom d’une collègue proche de mon domicile ce qui m’avait étonné. Était-je à la bonne adresse ! Ne fallait-il pas cette fois tenir compte de son conseil, risquer une autre rencontre !

Mais l’essentiel n’était pas là, il me fallait entrer dans l’exercice, me coucher, me détendre et parcourir le processus qui faisait l’objet du jour. De mon côté j’avais la charge d’être présent à ce qui se passait, de laisser faire, d’observer sans intention les idées qui passaient, tranquillement sans m’y accrocher. L’exercice commençait avec sa main posée sur mon ventre simplement point de guidance, de soutien, élément du parcours supposé thérapeutique. Couché sur le tapis de sol, tête à peine soutenue par un coussin moelleux, je prenais conscience de ma position, de ma peau qui s’appuyait sur le sol et me laisser aller, voguer comme une barque sur les flots.

Les bruits me parvenaient lointains, comme un élément de décor sonore. Simplement sa main, ses mains par appui successif définissaient ma limite corporelle et m’apportait une présence de chaleur au travers de la couverture. J’avais quitté la force de la pesanteur et me trouvait allongé comme au temps du berceau, alangui sans tension. Ma peau appréciait la présence légère de ses mains chaudes discrètes et douces et me renvoyait à des sensations passées, semblables j’imaginais à celles reçues au berceau. Méthodiquement, elle passait mon corps en revue comme pour y mettre une compresse, entièrement, ne s’attardant pas, dans un rythme lent et ferme selon l’usage, sa pratique. Dès le départ le manchon sensible autour de mes sacrées et de l’une ou l’autre lombaires s’était matérialisé au centre du bassin. Aucune tension, douleurs n’existaient.

De temps à autre, une respiration plus profonde se mettait en mouvement et je laissais faire. Il n’y avait pas, comme la fois précédente, la respiration profonde téléguidée par mon mental. Cette fois tout était en douceur selon la demande interne, sans intervention de ma part ou de la sienne. La technique d’approche était bien différente. C’était le laisser-faire complet. De temps à autre un petit gargouillis s’ajoutait au bruit de l’extérieur et à sa présence que je ressentais proche, que j’entendais bruissante. J’étais inerte comme un gâteau que le pâtissier mettait en forme par sa palette, dressant les bords.

De sous ma cote, le spasme habituel engendrant la toux, s’élançant comme un réflexe agressif vers la gorge, ne se manifestait plus sinon dans une trace mémoire de sa force passée. S’était-il dissout dans la détente générale du moment ?

De mes flancs passant, par les pieds, ses mains étaient à présent posé sur ma tête, entouraient mes oreilles, descendaient vers les joues quand par réflexe un frisson, un spasme démarra vers le bas, vers le ventre qui se mit à vivre, à s’éveiller. J’étais entré dans une zone inconnue, il n’y avait plus là qu’un mouvement incontrôlé, existant malgré moi, au-delà de mes viscères ou de mes os. Une pulsation s’était mise en route indéfinissable car inconnue, puissante remplissant l’espace de matière en un battement semblable à celui de l’horloge qui discrètement m’avait accompagné lors de cette descente dans mon corps.

Ce n’était pas un va-et-vient mais plus le pétrissement de la pâte que j’étais devenu. Mouvement, pulsion, onde vibratoire, au-delà de l’aller et du retour, indépendant. J’étais occupé par une énergie qui ne venait pas du coeur car elle n’en avait pas le rythme, le battement. Le pétrissage semblait la métaphore la plus adéquate pour décrire ce mouvement, j’étais une pâte, malaxée dans un pétrin.

C’était sûr, un événement m’était donné, comme un cadeau inconnu et mystérieux. La vie pouvait être son nom. Elle pulsait dans mes tripes.  Une énergie subtile, dépassant mes classifications, était là. Je n’étais avec mon corps que le support de l’événement, pur don à mon égard, essence subtile, puissante, pulsante. Une force tranquille m’habitait.

Je revenais d’un trip sensations exceptionnel, d’une expérience basique. Puis l’éphémère sensation s’apaisait et me laisser sur le sol songeur. J’observais sans jugement, me laissant faire, spectateur de la vie qui me portait. La vie en moi, m’était devenue consciente. J’en étais son utilisateur, son bénéficiaire, comme le cavalier sur sa monture, indépendante, autre mais solidaire, sans confusion.

La séance achevée par le retour à la position verticale la reprise en main du mental s’était faite. Après un court commentaire sur la séance, je ne pouvais que m’incliner devant ce cadeau de la vie qui m’avait montré ce qu’elle était dans mon quotidien pure énergie puissante sur laquelle tant bien que mal, je chevauchais.

Réflexologie

« Comment va votre estomac ? »  D’emblée le décor était déjà planté, sans que j’y sois pour quelque chose sinon d’avoir découvert mes pieds et d’ être couché sur une table de massage. Cette question de la réflexologue arrivait à bon escient, mettait une fois de plus le doigt sur un des aspects essentiels de la problématique du moment.
C’est vrai que quelque chose n’allait pas à ce niveau, ma fluidité retrouvée au niveau du bassin ne s’était pas élevée progressivement, vers le haut de la colonne comme je l’avais espéré. Tout le haut semblait encore bloqué à partir de l’estomac .
Centre d’émotion, jadis marqué par des événements oubliés, plexus bloqué, figé, bétonné.
Fallait-il mettre en rapport ces émotions avec l’avalanche de tristesse qui avait suivi mon rêve à propos du collège fait en Ardèche. Depuis ce moment-là, il me semblait qu’une tristesse se promenait dans ma tête, dans mon être, à la recherche d’un exutoire. Comme si cette boule de tristesse fixée à l’adolescence ou plus tôt était en train de s’expanser et de sortir de sa cachette.
C’était également le mot « tristounet » qui résonnait depuis quelque temps dans ma tête. Il s’associait à l’ambiance en question, à un moment, en était l’état verbal. Ma voix chargée d’émotions, de peines, avait perdu son timbre naturel et prenait celui de l’enfant pleurnichant.

La position couchée lâchait les freins, bousculait les montages et les larmes s’écoulaient par les fissures de ma carapace. Papillonner c’est bien, mais cela ne mène nulle part. Il me fallait prendre le taureau par les cornes, aborder l’image du père, l’agir du père. N’y avait-il pas des problèmes maintenant au niveau des dorsales. N’était-ce pas le père qui se marquait dans les tensions au niveau des épaules. Retrouver la mobilité du dos, c’était la nouvelle aventure, comme l’aventure du bassin était celle de la mère.

La respiration qu’elle me proposait de faire en tant qu’exercice entraînait en moi, agrandissait la sensibilité de mon corps, lui donnait une liberté surveillée. Avec elle, j’avançais sur le chemin difficile de cet affrontement.
« J’ai des crampes au milieu de la voûte plantaire, côté intérieur ! » « Oui, dit-elle, c’est la zone de l’estomac. » Le tout était cohérent. D’un mouvement doux, elle massait lentement cette zone sensible témoin de l’état des organes placés plus haut.
L’estomac est le siège du transfert de la nourriture vers l’intérieur comme les poumons le sont de l’air. Symbole à pousser plus loin, à examiner, à laisser vivre où commence cet écheveau.
Sans contrat cela ne sert à rien, il faut aller là où c’est difficile. Il faut traverser le désert ou la zone de tempête. En amateur rien n’est possible.
C’est vrai que j’avais tourné en rond qu’elle depuis quelque temps, qu’avec la pratique de plusieurs voies, je n’étais allé nulle part. J’étais face à cette tristesse, il me fallait l’assumer. Ce plexus était le chakra suivant à ouvrir mais il me fallait rencontrer la boule d’angoisse de mon adolescence, celle qui fixait mon intention et celle de ma mère, jadis.
Le samedi midi au dîner, au collège avant les dernières heures de cours et le bulletin distribué par le directeur, elle était déjà là.Angoisse du départ, angoisse de retour au milieu familial inquiétant. Sortie hypothétique conditionnée au bulletin de l’après-midi,collège inquiétant
Angoisse du père, angoisse des pères. Mon angoisse.
Jan 1990