Gymnastique douce.

« En annexe le programme de gymnastique douce pour lequel je me suis réinscrite fin août. N’hésite pas à y participer ! Tu aimeras, j’en suis sûr. ! De plus l’animatrice est sympa. »

Le message inhabituel de ma jeune soeur m’avait intrigué. Dès la lecture des informations et selon son conseil, je m’étais inscrit pour cette aventure physique qui me semblait de plus en plus nécessaire. En effet, les derniers mois ayant été trop sédentaires, j’avais constaté que mes articulations commençaient à perdre leur mobilité.

Cinq jours en suivant, je m’étais retrouvé sur le tapis deux heures d’affilée à réanimer l’ensemble de ma musculature. À petites doses, les techniques proposées réveillaient des pans entiers inactifs et rigidifiés de mon réseau musculaire. Oui vraiment il était temps qu’une fois de plus, je quitte ma tête pour m’occuper de mon corps.

Les exercices faits couchés agissaient sur toute la membrure et me laissait le matin en me levant, l’impression d’avoir fait un énorme travail physique. J’étais rempli de courbatures. Ma respiration devenait plus ample, une fatigue s’installait en même temps que l’impression d’exister, d’avoir un corps. De temps à autre, un flash me traversait notamment la sensation de me tourner bien plus à l’aise pour regarder à travers la lunette arrière de la voiture.

Corps et esprit étaient liés par l’imagination ! Je pouvais contribuer à l’exercice l’imaginer plus que le faire et le corps en tenait compte, répondait.

Au supermarché, l’idée d’appliquer un truc proposé par l’animatrice me traversa. J’imaginais que comme une africaine, je portais un plateau de fruits sur la tête. Surprise totale, étonnante, une vague de plaisir m’envahit. Le mouvement suggéré, esquissé mentalement venait de libérer quelque chose dans mes épaules. Ma manière voûtée de marcher venait de s’estomper. Les clavicules s’étaient ouvertes vers le haut.  Fier comme Artaban, je déambulais derrière le caddie comme pour un défilé de victoire. Le haut de mon corps s’était libéré en ouverture. Un blocage ancien venait de céder. La colonne cervicale s’était détendue prolongeait la dorsale. J’étais droit, je vivais plus, je vivais mieux.

Le poids du passé, d’un passé venait de tomber. L’impression ancienne d’être comme un chien battu trouvait peut-être son origine là dans le port de la tête. Je prenais plaisir à faire basculer les articulations de l’épaule vers l’arrière. Je gonflai mon torse et me trouvait joyeux, serein.

Pour me doper, j’avais à disposition, une petite recette bien efficace. Non pas manger cinq fruits, mais virtuellement les porter sur mon petit plateau de tête.

Basculer les épaules vers l’arrière pour porter mes fruits et bien-être immédiat. Etre droit, être là. Le truc me semblait surréaliste.

Cela pouvait sembler un exercice banal pour celui qui possédait la mobilité complète, un exercice qui n’avait ni queue ni tête. Car ce qu’on a, on ne le connaît plus. Comment savoir ce qu’est la liberté, si on l’a toujours connue. Quand on à la souplesse comment connaître l’effet d’un muscle qui lâche.

Pour moi dans toute ma rigidité ce n’était pas rien. C’était le bouchon qui venait de sauter « Champagne ! ». Vraiment, c’était ma fête.

Avec attention, plus d’une fois pendant les exercices, l’animatrice avait observé la courbure de mes cervicales et apporté un 2e support sous la tête, témoins à posteriori du chemin à parcourir. En 4 séances, je l’avais parcouru et venait de décrocher la timbale.

Les dernières années, j’avais cru par le chant assouplir ma voix, augmenter ma capacité respiratoire mais cela ne semblait pas être la voie radicale. Il fallait que plus haut le chemin se dégage. Il fallait qu’une porte s’ouvre. Le haut de ma colonne venait enfin de s’assouplir libérant les muscles permettant une mobilité haute que je ne connaissais pas.

Petite constatation du progrès accompli, ma main droite peut à présent atteindre dans mon dos, l’omoplate gauche. Point de repère de la liberté angulaire gagnée, indicateur du progrès encore à faire. Mais la percée est faite. Je sens et je sais qu’il me faut travailler à ces mobilités supérieures trop longtemps ignorées.

Toux

Toux qui aboie dans le silence de la nef et qui roule sous les ogives. Raclement de gorge, effort de clarification.
Toux sèche, cassante, sifflante. Toux du père qui va qui vient rythmant le temps, coupant la quiétude du soir.
Toux qui casse le murmure des convives et les réponses des voisins.
Toux née du côté gauche, gauchissant, tournant à cœur ouvert, raclant, ramonant l’émotion du passé. Secousses qui empêchent de dormir et qui s’apaisent dans la fatigue, au premier chant du coq.
Grosse caisse, qui tonne pour dire et qui ne dit rien. Toux qui crépite, comme un alphabet morse, pour dire les soubresauts du diaphragme, la révolution d’un être là, au fin fond de ce corps qui déraille.
Gerbe d’émotions refoulées qui s’étranglent sous la poussière des jours.
Echo de la toux de sa fille. Toux matrice, de père à fille.
Toux qui secoue les reins, le ventre cherchant à libérer des tripes, l’émotion violente, séquelle d’une bataille perdue.
Toux de marquise, illusoire, qui siffle par l’étouffement d’une gorge étranglée, pour réclamer une présence, une main, une voix, un corps chaleureux.
Toux qui appelle la protection de deux bras, l’étouffement de possession, la pression d’une présence réelle.
Toux qui appelle une bouche remplie de doux mots, tendres, réconfortants, débordant d’un amour espéré.
Toux qui appelle la douceur frissonnante d’une main qui caresse le front, la joue.
Toux qui appelle un corps rempli de bruits pour vibrer avec lui au son du métronome, réconfortant qu’est un cœur battant.
Bruits d’une respiration qui rapproche et écarte comme une vague berceuse sur une mère tranquille.
Note fêlée, qui va et vient comme un microsillon cassé, marquant à plaisir un amour inachevé.
Fausse note d’une vie qui malgré tout appelle, encore, toujours.
Gorge étranglée qui s’assèche et crevasse dans l’émotion du groupe. Gorge sans salive qui avale, gorgée d’air pour gorgée d’eau.
Oesophage rebelle qui confond voie d’air et voie d’eau
Emotion, qui adhère, qui gratte, contraction qui racle pour trouver, pour chasser un souvenir enfoui.
Emotion, qui s’approche lentement, de la tête de la bouche, des yeux.
Emotions qui assèchent et perturbent, qui troublent le timbre de la voix.
Fourmillement buccaux, faciaux qui portent témoignage d’un trouble émotif, grimace accrochée sur un visage triste.
Muscles qui fibrillent entre contrôle et abandon.
Toux qui coupe la nuit en tranches d’insomnie.
Toux qui hurle en des maux ce qui n’a pas été mots.
Toux du père, toux de la fille, toux.