Rencontre d’un vendredi soir.

« Ah, je ne t’avais pas vu de suite. Comment vas-tu ? »

C’était hier, la première fois que depuis six mois, j’avais l’occasion de la rencontrer et d’échanger tranquillement en attendant que la file à la caisse avance. C’était une parenthèse gaie pour occuper ce temps d’attente.Comme à tous ceux, et à toutes celles que je rencontrais, je n’hésitais pas à m’épancher à propos de ma situation professionnelle et sur le sort peu enviable, sur le destin qui était le mien à ce moment.Elle rentrait de l’académie où elle terminait ses cours et se trouvait par hasard elle aussi dans ce supermarché.

Rencontre fortuite, agréable rompant mon oisiveté, ma solitude. Une rencontre au désert. Il y a un mois, j’étais actif, faisant des projets, préparant les activités futures. Aujourd’hui, j’étais là, entre deux caisses enregistreuses à faire la file agréablement. Nouveau chemin, nouvel espoir, nouveaux horizons. Descente lente vers l’inactivité, vers l’isolement, la quarantaine.

La conversation était gaie, nous abordions tout et rien à la fois, du quotidien, de l’instant. Quelque chose en elle avait changé, quelque chose de neuf se passait pendant que nous allions lentement vers le parking en échangeant. La conversation glissa à mon plus grand plaisir vers les rêves. Non pas de vacances ou de projets mais de nuit,. Ceux qui nous assaillent parfois avec tant de vigueur, tant de questions, tant d’étonnements. Sans doute avais-je acquis de solides notions dans les soirées qui s’étaient passées à la maison, avec notre interprète de rêves, il y a déjà si longtemps.

« Tu sais, je fais des rêves de mort, dit-elle ! ».

Oui,  mais ce n’est pas des rêves de la mort, ce sont des morts d’état, des morts qui président à des changements profonds. Etais-je en phase, ou en train de projeter mes idées au lieu d’écouter vraiment ce qu’elle voulait dire. Le monologue allait bon train, j’ignorais la nature de l’échange, j’étais bavard, j’étais troublé, elle me troublait.

Déjà dans le passé, l’odeur d’amande douce qu’elle transportait avec elle, me renvoyait aux effluves d’huile essentielle que nous utilisions dans un massage de thérapie. Etait-ce son odeur corporelle, son parfum qui à  nouveau réveillait, ravivait mes instincts sexuels, mon désir, ma virilité ?  Etait-ce sa voix chaude, grave et sensuelle ? Sa joie d’exprimer le plaisir de pétrir des formes féminines et  sensuelles qu’elle fabriquait depuis un temps en terre cuite, dans une obsession sans fin.

Des fourmillements énergétiques ranimaient dans mon bas-ventre un flux mystérieux. Mon corps à cet endroit semblait reprendre vie dans toute la surface du pubis. Comme si celui-ci s’était chargé et se reliait via mon corps vers le sien  dans un ensemble de frissons d’érotisme. Un pont s’établissait en moi, vers elle, sans aucun doute, un charme était réveillé, lancé, un réveil sensuel s’agitait dans mon bas ventre. Intensité nouvelle, magnétisme, lien nouveau, champ sensuel, s’éveillant après un long sommeil.

« A plus retard ! » « Au revoir ! », J’étais en route, dans l’obscurité, sur le chemin du retour. Frisson de nuit. tremblement du corps. Energie qui se dégage.

Un rêve m’éveille, me parle. Un homme est là derrière la porte, de ma cave, un arabe devant moi. Je prends peur, je m’éveille et brusquement. Que veut-il ? Que dit-il ? Qu’annonce-t-il ? Que me veut cet arabe dans ma nuit. Est ce un conte de mille et une nuit, un conte qui se passe dans un harem, dans mon harem intérieur

Colère posthume.

Colère qui comme un feu couve, tout au long d’un jour de travail, colère rentrée qui bouillonne et qui rebondit sans pouvoir s’exprimer.

Colère qui s’entretient, colère qui épuise, colère qui rayonne, colère qui magnétise.

Voisine et collègue agressée d’un non-dit assassin et qui me dit

« Je ne sais pas pourquoi, mais aujourd’hui mes mains sont toutes tremblantes »

Antenne de réception de mes émotions violentes.

Colère d’humiliation, colère d’avoir été dévalorisé, nié, rabaissé au niveau d’un moins que rien.

Humiliation profonde, de ne pas avoir été respecté, d’avoir été un marche pied pour contribuer à la grandeur d’un chef.

Blessure d’amour propre, où tout effort est balayé, où tout point positif est minimisé.

Jalousie de voir des préférences injustifiées, jalousie de voir qu’ a d’autres on donne en abondance.

Douleur d’être « écarté du feu de l’action, du plaisir de l’avantage dit en nature. »

Pauvreté insupportable, manque de considération, colère qui explose dans toutes les fibres de mon corps. Colère inutile qui tue mon enthousiasme. Colère rentrée du chien battu couché, muet de sa douleur et qui se lèche.

Colère stérile.

Temps d’apaisement donné par la grâce d’un texte que le hasard glisse au moment opportun, baume apaisant sur mes plaies vives.

Baume d’un ange de la subjectivité, baume d’un ange du pardon.

(J44)

-Pour Mars99-Février2000

Yo-yo

Emotion qui s’éveille à hauteur du ventre, animal souterrain qui se meut vers les cotes, occlusion voyageant cherchant une expression. Yo-yo.

Forte volonté qui repousse l’insecte se coulant sous la peau vers le cou.

Temps qui passe et qui chasse la peur des tissus.

Temps patiente, arrête l’émotion se réveille.

Taupe mystérieuse qui se creuse un passage plus loin, de plus en plus haut.

Sensation sous la peau, qui monte aujourd’hui bien moins loin que demain.

Emotion d’un mystère, trace du passé qui monte, qui monte. Yo-yo.

Emotion élastique qui s’élance et qui passe presque au travers de la gorge, émotion qui s’élève à hauteur de la bouche et qui vaincue s’effondre  pour rejoindre son antre. Yo-yo.

Vague vibrante qui monte jusqu’au épaules qui bloquent, vague qui se retourne, vague qui s’effondre. Tristesse qui se reprend pour mieux sauter demain. Yo-yo.

Coup de bélier, coup de butoir, vague montante, blocage.

Un non-dit se réveille et cherche la conscience, vague de fond qui veut se mettre à jour. Vague d’effroi qui se fige. Yo-yo.

Tristesse des bas-fonds qui noue la gorge affolée. Sensation d’enfance, qui cherche son chemin, profonde et réveillée, elle vient, elle monte. Yo-yo.

Tremblement du passé, tremblement actuel comme un monstre affolé, qui rode.

Mon corps veut redire ce qui l’a tant blessé. Yo-yo.

2/3/2000