L’éveilleur

IMG_0873L’église, que les circonstances avaient choisies, pour lui rendre hommage, était à deux pas de sa résidence depuis longtemps. L’avait-il fréquentée, visitée je n’en avais rien su. Sans doute lors d’une cérémonie identique qui avait précédé la sienne.

Érigée près d’une vaste place, elle en était séparée par une ceinture de tombes anciennes, lambeau de terre mince en façade, du cimetière sans doute désaffecté, autour d’elle. Pour accéder à l’entrée et au porche, un passage pavé à l’ancienne avait été aménagé, un mètre à peine de large, au sol une inscription lapidaire « Famille X ». À gauche à droite des monuments funéraires en urne-pilastre de 3 m de haut surmontaient les concessions de famille sans doute de notables. Avait-on enterré à l’église, comme dans les plus anciennes ? Etait-t-elle relativement récente ? Ce qui m’importait à ce moment, c’était plus du niveau symbolique, l’église, et le rapport à la vie, à la mort.

Sa mort, après un long combat était inéluctable. Il rassemblait ainsi en une seule fois pour le dernier au revoir, sa famille proche et étendue, ses amis, ses connaissances. Sa forte personnalité, sa convivialité, nous avaient tous marqués. Son attachement, ses racines étaient manifestes tout autant que le plaisir qu’il avait de voyager sur les mers et au-delà. Patriarche, capitaine, c’était un rassembleur, une personnalité qui laisse des traces, qui marque. Une devise récente qu’il affichait fièrement sur son T-shirt était

« Mouton oui, mais différent des autres »

Avec lui rien n’était pareil tout été abordé autrement et souvent comme Don Quichotte, il pourfendait ce qui tournait mal à son goût, autour de lui.

Son attachement à la langue de nos anciens, balayée après la guerre par la modernité, occupait une partie de son temps. Temps qui le ramenait à ses années d’enfance quand il avait vécu chez les grands-parents paternels, séparé de son père par la guerre, de sa mère par la maladie et la profession. Brillant intellectuel, pédagogue dans l’âme, il avait transmis à ses enfants, ses petits-enfants, ses enfants adoptés, le sens du devoir, de la rigueur, de l’effort.

Vif, alerte, il avait la dernière année, lutté pour sortir d’une maladie sans issue qui l’avait tué à petit feu. Sa grande sensibilité bien cachée était ressortie comme un déluge lors d’un concours de cornemuse, entre clans, en Écosse. C’était cela que ses enfants avaient voulu mettre en évidence, au second degré, pour son entrée à la cérémonie d’hommage, à l’absoute.

Le petit cortège était précédé d’un joueur de cornemuse, engagé par les petits-enfants pour dire à tous qu’au fond il était profondément humain attentif respectueux de celui qu’il rencontrait, qu’il écoutait.

Pour la lecture de l’Évangile, sa femme avait choisi la lecture de la graine de sénevé qui doit pour se perpétuer mourir. Était-elle dans la pensée de Pâques qui avait été fêté quelque jours avant, intuitivement, culturellement sans doute mais consciemment, j’en doute. Elle oscillait au gré des vagues de la modernité et avait jeté le bébé avec l’eau du bain. Mais un sens profond agitait la famille, les échanges par téléphone s’étaient multipliés. Le fruit qui en ressortait était le témoignage de tous, rassemblés derrière le micro, à l’assemblée à la fin de l’office.

Ils, elles n’étaient pas dans le regret, stérile et larmoyant. Chacun agitait pour tous clairement distinctement ce que le patriarche, le père, le papa avait fait pour eux, en quoi il avait été graine pour donner pour chacun un fruit bien personnel « Il m’a appris, il a été semence, j’en garde ce fruit. »

Je m’inscris dans sa lignée, porter du fruit, mon fruit.

Y a-t-il meilleure image de mort et de résurrection. C’est là le sens profond acquis dans cette église du Vieux village.

Il quitte l’assemblée précédé par le joueur de cornemuse pour dans quelques jours rejoindre la terre familiale adoptée par ses parents qu’il y a longtemps, son âme d’enfant avait perdu, dans une rupture violente d’un attachement, jamais exprimé.

De lui, je garde la semence qu’il a semée en moi. Lors de nos premières rencontres, un jour de Toussaint sur la tombe familiale, il s’interrogeait en miroir.

« Mais où est l’arrière-grand-père paternel, porteur du Nom »

Absence perdue de vue qui depuis me travaille. Sa quête, par personne interposée, ma quête ?

Quête impossible mais sens des racines, de la vie, de l’amour qui du portage au baptême, au portage à la mort, nous rend vivant.

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