Paroles en l’air.

Comme un sexe qui se dresse pour affirmer sa présence virile dans le domaine biologique, la parole qui s’exprime à l’intérieur d’un groupe ressort de la même nature, celle d’une affirmation de soi, dans le domaine de l’esprit.

Cette parole en moi hésite, s’englue dans des émotions de peur, d’angoisse, dans un rythme de chamade. Cette affirmation simple d’un avis, d’un vécu, d’un aspect de la réalité s’accroche à la gorge, se perd sans expression.

Cette parole en route s’est d’abord exprimée depuis mon changement de service et ma présence dans des réunions internationales par une activité au niveau de la pomme d’Adam, avec toutes ses verrues comme si elles attiraient mon attention sur le point faible, sur le problème, mon expression verbale enveloppée de ses craintes, de ses freins, de ses angoisses.

Petit à petit ces verrues ont disparus, ma parole a alors tenter la percée ultime à travers l’oesophage pour s’exprimer clairement à la rentrée de Septembre 99 dans la communauté charismatique. Paroles non pas dans un petit cercle d’intimes ou paroles dans un dialogue amical mais expression dans le cercle d’un auditoire. Joie d’avoir pu, malgré les battements de coeur, donner un avis personnel dans cet espace si impressionnant qu’est pour moi le groupe et sans l’aide ou l’interrogation d’un chef de groupe.

Ma parole a percé le mur de mon silence pour apporter une brique qui contribuera à l’édifice de la communauté. Elle est comme une bulle qui venait des profondeurs, s’ouvre à l’espace aérien pour dire ce qui doit être dit.

Ma parole à germer dans la communauté pour tisser des liens verbaux. Mon chemin est de quitter le lien nourricier de l’eau et de la nourriture pour entrer dans le lien par l’air. Paroles qui entrent dans l’espace, paroles dite au nom du père.

Alors que je reportais 3 livres à la bibliothèque, déçu de leur lecture à peine entamée, prêt à oublier pour longtemps le chemin de la bibliothèque, je m’approchais néanmoins de la table des nouveautés pour après hésitation prendre le livre qui s’avéra celui de l’année, des 5 dernières années même. Le livre qui me conduisit à la notion du rôle de père. Livre fondateur, résumant  et anticipant mon parcours, livre de Didier Dumas qui dans le temps se présente au bon moment pour apporter un soutien au cheminement de ma parole. »Sans paroles, sans père »

Arrivé à temps, il confirmait avec tous les indices du moment, le sens des évènements, la direction qu’il me fallait prendre. C’était le S final du nom, à prononcer clairement. C’était la prise de paroles en réunion, c’était le travail d’expression avec la psy.

Qu’est ce qui avait ouvert cette nouvelle porte, Difficile à dire, car le tout était cohérent, c’est un ensemble dont je perçois mal l’essence. C’est un puzzle épars avec tous ses aspects qui brusquement par l’apport de l’une ou l’autre pièce donne sens à l’ensemble. C’est comme un liquide instable en surfusion qui voit l’apparition de la cristallisation d’une manière brusque. Tout ce qui est nécessaire et suffisant était présent, seul manquait la forme. Le brouillard s’est levé et le paysage apparaît dans toute sa dimension.

Un point de non retour est apparu, la parole est là, hésitante encore mais elle a jailli, ce n’est plus le petit groupe qui l’entend à voix basse.

A haute voix, ma parole s’exprime dans l’espace, Ma voix se libère, je ne sais si ma voix est basse, contre alto ou tenor, ma voix est là, non plus fluette mais ferme, s ‘exprimant, se disant, me disant.

J24-1/11/1999

Placer la voix.

« Que les ténors se placent ici à ma droite, que les basses se mettent à gauche et ensuite les altos au centre. » Incapable de me situer par ignorance de cette échelle de voix, j’hésitais figé sur ma chaise. Fallait-il frimer faire comme les autres me porter dans un des groupes ou rester cloué sur ma chaise dans une immobilité honteuse. Je n’avais pas su me décider ! Qu’est ce que j’étais venu faire dans cette galère. Qu’elle était ma place dans cette communauté, dans toute cette organisation. Pour ma première participation, ce n’était pas fameux. Quel langage utilisaient-ils ? Etait-ce pour moi ?

A la réunion suivante en entendant les mots « communauté » et les louanges de chacun face à celle-ci, je me trouvais distant et septique.

Ne venait-il pas d’accueillir un tel et un tel en laissant dans l’oubli quelqu’un qui n’était pas parrainé et qui aurait eu aussi droit à cet accueil. Pourquoi n’accueillait-t-il pas tous les nouveaux en une fois, en suscitant la réaction de ceux qui arrivaient. « Levez une main, les nouveaux ! » C’était si simple. Leur langage créait des exclusions. Bien sur, toute organisation a des failles.

Chacun devait à présent prendre dans un panier un menu objet qui y était disposé, feuille séchée, fruit sec, papier coloré, mandarine, bout de chocolat et rechercher dès que chacun avait le sien, dans le groupe les personnes portant le même objet pour faire une petite communauté de partage. Là enfin la démarche était porteuse de communauté. Le hasard constituait nos groupes de discussion.

Dans le partage qui suivait, chacun exprimait ses impressions. J’en profitais pour dire que la fois précédente, l’exclusion m’avait cloué au mur, que je m’étais senti rejeté, faute de savoir la nature de ma voix.

La communauté oui mais pas au prix du rejet ou de l’oubli de ses nouveaux membres. Si possible que chacun veille sur les autres, mais est-ce si facile ?

Lors du deuxième partage de l’après-midi, à nouveau autour du petit groupe, j’entrais dans le jeu proposé et comble vu ma réaction du matin une participante du groupe me demandait de tenter une expression par le chant. Mon bavardage du matin n’était pas tombé dans l’oreille d’une sourde. Puisque je ne savais pas chanter, je chanterais donc. En avant pour l’aventure, pour la sortie des chemins surs et bien connus.

Dans ma mémoire, toute histoire, tout texte avait disparu sauf un ou deux vers d’une de mes chansons préférées. A mon tour, je me lançais avec une voix hésitante, mal assurée. C’était une véritable catastrophe. Ma voix fluctuait, hésitait. « Oui tu dois prendre ta voix. Tient autrement ton cou, il doit être placé d’une autre manière, me disait l’oreille fine et musicienne qui m’avait mis au pied du mur pour cet exercice de vocalise.

« Fais un deuxième essai, tu dois pouvoir faire mieux. »

Pour la deuxième fois dans ce petit groupe sympa, rassemblé dans un petit local très discret, je me lançais pour essayer de sortir un son valable. Au milieu de la phrase, j’eus la sensation que ma voix prenait une place à un endroit différent et plus bas qu’où j’essayais souvent vainement de faire sortir un son convenable. Ma voix n’était plus dans, derrière ma pomme d’Adam mais plus bas. Le son m’était plus agréable, il était plus assuré, plus plaisant. Néanmoins à court de mot, sur le texte court que j’avais en mémoire, la chute fut brutale.

Une nouvelle impression s’était glissée en moi. Dans le passé, je n’avais pas pris ma voie, ma place, ma voix. Je me taisais souvent, submergé par mes émotions et empêché par ma retenue, par un frein quelque part dans mon attitude, dans ma gorge.

N’était-ce pas là que poussait il y a un an, encore cette foison de verrues, qui repoussaient à peine carbonisées par le médecin.

Je n’avais pas pris ma place, ma voix ne dominait pas l’ambiance de famille pour je ne sais quelle raison du passé, mon assurance vacillante m’avait placé du coté des taiseux.  N’avait-t-il pas raison mon fils de me dire il y a quelque années que j’étais au portemanteau.

Moi qui rêvais de communiquer avec mes enfants, de leur exprimer des tas de chose la plus part du temps à table, je n’avais rien dit, ne profitant pas de ces moments privilégies pour exprimer des choses pour leur apprendre à parler, à se parler, à s’exprimer, à se dire.

Depuis la mort de mon père, j’imaginais les choses que j’aurais pu lui dire, lui exprimer. Lui m’aurait compris, mais je n’avais rien dit, à cause de cette chape de plomb qui pèse sur la famille et qui fait que l’on s’y tait. Aurais-je pu lui parler moi qui n’ai pas fait le deuil du père.Toute tentative aurait été vouée à des larmes de tristesse. Pour les éviter, je me taisais, alors maintenant brusquement me mettre à table, était-ce possible sans une voix assurée, sans entrer dans des émotions, sans rencontrer les émotions toujours  évitées. Voilà, il faut que je parle que je me dise, non pas que je m’écrive car la parole ouvre des portes, permet la vraie rencontre,

Il ne reste plus qu’a attendre ou provoquer cette fameuse conversation.

Octobre98

Anamnèse sympathique

Vous annoncer la nouvelle en ce début d’année 98, m’a paru difficile car je ne tombais pas sur l’adjectif adéquat pour la donner. Les mots désignant les endroits du corps me parvenaient en rafales mais pas avec le sens adéquat. J’avais,en tête le mot spatial, ventral, dorsal, d’autres aussi moins élégant, même caudal me venait en tête. Malgré le tri que j’essayais de faire, des mots incongrus ou incomplets se présentaient. D’ailleurs à ce dernier, il lui manquait la bonne lettre et encore, il ne se rapprochait pas de mon objectif. Il y avait ensuite oral, latéral, nasal. Le bon mot n’était plus loin. Je du alors me rendre à l’évidence, les mots en  » al  » n’étaient pas la solution. Ma première piste d’expression devrait être éliminée. Était-ce un paradoxe qui avait conduit à ce que mes verrues au cou disparaissent, qu’elles n’expriment plus ce pourquoi, elles étaient apparues.

D’abord à la mi-décembre, mon doigt gauche avait montré des indices de mieux être. Sous l’ongle et sur le coté de la première phalange, le champignon s’était essoufflé, avait disparu laissant mon index à l’état neuf. N’était-ce pas sa fonction essentielle, Montrer. C’était aussi parallèlement mettre à l’index, son expression incongrue, la gommer, l’effacer pour revenir à l’aspect lisse que je lui avais toujours connu. C’était le premier pas plutôt le premier doigt qui se retrouvait pareil à lui-même. Qu’est-ce qui l’ avait changé, qui les avaient changées ces taches qui me harcelaient depuis longtemps.

Le long feu des potions prises depuis deux ans au moins. Un événement brusque ravageur, un volte face sous-cutané. Oui et Non. Près de quinze jours avaient été nécessaires à cette mystérieuse activité pour afficher, sur ma main et à mon cou, tout son effet.

Ma vie n’avait pas changé pendant ce temps apparemment. Le mieux était visible, ma main gauche comme neuve s’affichait, auto nettoyée de ses imperfections. Quel avait été le moteur, l’acteur de ce changement, tant souhaité, tant recherché. Les taches n’étaient pas à la fête, ne voulaient pas de 1998, ou ne voulaient pas être vue par un nouvel expert que j’étais prêt à consulter ou même n’avaient-elles pas envie de passer sous les passes magnétiques  d’un quelconque rebouteux.

Sans doute étaient-elles dignes de plus, mais alors de quoi. C’est vrai que leurs bases n’étaient pas maladives comme vous me l’aviez annoncé. Que l’expérience avait prouvé que ce type de manifestation allait et venait à son gré. Mais de quels bois se chauffaient-elles ces verrues qui parallèlement à ces taches sur les doigts, garnissaient d’appendices incongrus la peau de mon cou, sur la pomme d’Adam. N’avaient-elles pas été trop chauffées précédemment par la cautérisation effectuée par le bistouri électrique du deuxième spécialiste, que pour accepter encore d’y passer, chez un troisième larron.

Étaient-elles un second feu comme me l’avait laissé entendre innocemment ou sournoisement une personne d’âge lors d’une conversation banale ?

Qui dans mon entourage, me donnait, depuis le début, des boutons ?

Rien ne m’apparaissait clairement, aucun point de repère ne s’accrochait dans ma mémoire, même la date de la première consultation, avec la photo prise par le dermatologue, n’était plus dans ma mémoire. Leur triumvirat de base comme une langue qu’on tire avait, avec les interventions de la faculté, les médicaments et le temps, explosé en un bouquet de petites aspérités de plus en plus esthétiquement agressives, comme s’il y avait renforcement et éclatement de l’effet principal.

Placées surtout du coté gauche de mon cou, elles avaient après la dernière bataille médicale, pris lentement la poudre d’escampette, ne laissant que des auréoles ovales aux  endroits où leur expression avait été passée par le feu, lors d’un combat inégal.

Leur état d’expression somatique s’était-il rapproché de l’expression orale et verbale?

Étaient-elles le signe annonciateur et l’expression d’une colère bloquée quelque part dans un mouvement corporel au niveau du torse vers l’arrière droit, qui par la gymnastique de Feldenkreis, avait retrouvé un chemin d’ expression libre, dans la voix ? Avaient-elles pris la forme des douleurs musculaires qui s’élançaient depuis cette gymnastique, de l’une ou l’autre vertèbre dorsale, (D9-D10?) dans l’espace du cou ? Était-ce l’irruption de la voix d’un ami d’enfance, sortant du passé qui me replongeait sans préavis dans le souvenir tournant autour de la mort de mon père et dans mon adolescence?

Était-ce l’acceptation d’une collègue dans mon espace de bureau qui ne justifiait plus ces pousses épouvantails. Toutes les hypothèses se bousculaient dans mes pensées, sans pouvoir par le biais d’un détail, devenir la raison, les causes de ces expressions corporelles incongrues.

Mais, l’essentiel n’était-il pas de retrouver enfin un cou anonyme.

Janvier 98