Anamnèse sympathique

Vous annoncer la nouvelle en ce début d’année 98, m’a paru difficile car je ne tombais pas sur l’adjectif adéquat pour la donner. Les mots désignant les endroits du corps me parvenaient en rafales mais pas avec le sens adéquat. J’avais,en tête le mot spatial, ventral, dorsal, d’autres aussi moins élégant, même caudal me venait en tête. Malgré le tri que j’essayais de faire, des mots incongrus ou incomplets se présentaient. D’ailleurs à ce dernier, il lui manquait la bonne lettre et encore, il ne se rapprochait pas de mon objectif. Il y avait ensuite oral, latéral, nasal. Le bon mot n’était plus loin. Je du alors me rendre à l’évidence, les mots en  » al  » n’étaient pas la solution. Ma première piste d’expression devrait être éliminée. Était-ce un paradoxe qui avait conduit à ce que mes verrues au cou disparaissent, qu’elles n’expriment plus ce pourquoi, elles étaient apparues.

D’abord à la mi-décembre, mon doigt gauche avait montré des indices de mieux être. Sous l’ongle et sur le coté de la première phalange, le champignon s’était essoufflé, avait disparu laissant mon index à l’état neuf. N’était-ce pas sa fonction essentielle, Montrer. C’était aussi parallèlement mettre à l’index, son expression incongrue, la gommer, l’effacer pour revenir à l’aspect lisse que je lui avais toujours connu. C’était le premier pas plutôt le premier doigt qui se retrouvait pareil à lui-même. Qu’est-ce qui l’ avait changé, qui les avaient changées ces taches qui me harcelaient depuis longtemps.

Le long feu des potions prises depuis deux ans au moins. Un événement brusque ravageur, un volte face sous-cutané. Oui et Non. Près de quinze jours avaient été nécessaires à cette mystérieuse activité pour afficher, sur ma main et à mon cou, tout son effet.

Ma vie n’avait pas changé pendant ce temps apparemment. Le mieux était visible, ma main gauche comme neuve s’affichait, auto nettoyée de ses imperfections. Quel avait été le moteur, l’acteur de ce changement, tant souhaité, tant recherché. Les taches n’étaient pas à la fête, ne voulaient pas de 1998, ou ne voulaient pas être vue par un nouvel expert que j’étais prêt à consulter ou même n’avaient-elles pas envie de passer sous les passes magnétiques  d’un quelconque rebouteux.

Sans doute étaient-elles dignes de plus, mais alors de quoi. C’est vrai que leurs bases n’étaient pas maladives comme vous me l’aviez annoncé. Que l’expérience avait prouvé que ce type de manifestation allait et venait à son gré. Mais de quels bois se chauffaient-elles ces verrues qui parallèlement à ces taches sur les doigts, garnissaient d’appendices incongrus la peau de mon cou, sur la pomme d’Adam. N’avaient-elles pas été trop chauffées précédemment par la cautérisation effectuée par le bistouri électrique du deuxième spécialiste, que pour accepter encore d’y passer, chez un troisième larron.

Étaient-elles un second feu comme me l’avait laissé entendre innocemment ou sournoisement une personne d’âge lors d’une conversation banale ?

Qui dans mon entourage, me donnait, depuis le début, des boutons ?

Rien ne m’apparaissait clairement, aucun point de repère ne s’accrochait dans ma mémoire, même la date de la première consultation, avec la photo prise par le dermatologue, n’était plus dans ma mémoire. Leur triumvirat de base comme une langue qu’on tire avait, avec les interventions de la faculté, les médicaments et le temps, explosé en un bouquet de petites aspérités de plus en plus esthétiquement agressives, comme s’il y avait renforcement et éclatement de l’effet principal.

Placées surtout du coté gauche de mon cou, elles avaient après la dernière bataille médicale, pris lentement la poudre d’escampette, ne laissant que des auréoles ovales aux  endroits où leur expression avait été passée par le feu, lors d’un combat inégal.

Leur état d’expression somatique s’était-il rapproché de l’expression orale et verbale?

Étaient-elles le signe annonciateur et l’expression d’une colère bloquée quelque part dans un mouvement corporel au niveau du torse vers l’arrière droit, qui par la gymnastique de Feldenkreis, avait retrouvé un chemin d’ expression libre, dans la voix ? Avaient-elles pris la forme des douleurs musculaires qui s’élançaient depuis cette gymnastique, de l’une ou l’autre vertèbre dorsale, (D9-D10?) dans l’espace du cou ? Était-ce l’irruption de la voix d’un ami d’enfance, sortant du passé qui me replongeait sans préavis dans le souvenir tournant autour de la mort de mon père et dans mon adolescence?

Était-ce l’acceptation d’une collègue dans mon espace de bureau qui ne justifiait plus ces pousses épouvantails. Toutes les hypothèses se bousculaient dans mes pensées, sans pouvoir par le biais d’un détail, devenir la raison, les causes de ces expressions corporelles incongrues.

Mais, l’essentiel n’était-il pas de retrouver enfin un cou anonyme.

Janvier 98

Sinusite quand tu nous tiens.

La sinusite maxillaire de la dernière envahissait notre espace familial. Vu sa difficulté a respirer par le nez, elle faisait des efforts bruyants excessifs pour que l’air coule dans son système respiratoire. Les médicaments aidaient peu, ne solutionnaient pas le problème et ses maux s’éternisaient. Que faire pour vraiment et définitivement la sortir de cette difficulté.

Par la médication sans doute mais ne fallait-il pas aussi aller plus loin, frapper plus juste en ne mettant pas tous nos espoirs dans une molécule médicamenteuse.

D’ailleurs, elle n’était pas seule à souffrir du nez. Sa mère avait la « pole » position, le pompon pour les difficultés nasales. Chaque nuit depuis que je la connaissais, elle devait vu sa rhinite permanente, à l’aide d’un spray ou de gouttes débloquer la situation inconfortable qui l’empêchait de respirer à l’aise. En moyenne, une fois par semaine, j’étais d’ailleurs réveillé par les bruits accompagnant la manoeuvre de réouverture du sillon nasal.

A mon tour pendant des années dès mon adolescence, j’avais du effectuer traitement sur traitement pour essayer d’arrêter ce nez qui n’en finissait pas de couler dans ma gorge et que de manière disgracieuse, j’étais obliger de vider par un crachat honteux dans un mouchoir ou derrière un arbre. Aucune poudre magique n’avait mis fin à cette éternelle source d’ennui et d’étonnement pour ceux qui entendaient l’effort nécessaire pour récurer ma voie nasale par le fond de la gorge.

Etait-ce une simple histoire de pollen, de poussières, d’acariens. Mystère, hypothèse, une affaire d’hérédité. Sans doute. mais qu’elle hérédité, pour quel sens des choses. Physiquement s’en tenir aux microbes, aux agents extérieurs me semblait une hypothèse réductrice.

Pourquoi ne pas examiner la piste du vieux chagrin, caché, tapis dans l’ombre du passé et qui cherchait avec persistance à être reconnu, a émerger de sa quarantaine par tous les moyens, par ce moyen. N’est ce pas d’ailleurs un symptôme typique d’un chagrin profondément vécu que d’entraîner un vif encombrement  qui bouche le nez. N’est ce pas bien connu qu’il trinque dans ces circonstances  de deuil, et qu’il réclame la présence d’un mouchoir, si possible accueillant.

Piste improbable, impossible peut-être dans l’esprit du commun des mortels, de la faculté. Réductionnisme, mécanisme. Pourtant cette piste ne serait-elle pas la piste de la guérison.

Mon nez s’était tari lui aussi un jour lorsque bien après mon mariage, j’ai accepté de me livrer à mes sentiments, pour laisser sortir ce qui devait sortir. Ne devait-elle pas elle aussi, à chaudes larmes vider ses tristesses, accumulées quelque part pour quelqu’un ou quelque chose qui lui était cher.

Cette sinusite avait débuter à la Toussaint, à partir du moment où une énorme boule de petites fleurs de chrysanthème, avaient été introduite dans le living. L’idée que celle-ci était la cause du problème semblait partagée par la famille. Ne fallait-il pas alors suivre la piste non pas de l’objet mais du symbole de l’ objet. Fleurs d’accompagnement des morts, source de tristesse pour elle. Ces pomponnettes n’étaient pour moi que l’expression d’une beauté intrinsèque, explosante de jubilation, d’une beauté neuve. Ces fleurs nouvelles sur le marché ne portait pas la tristesse symbolisée par les boules blanches des traditionnels ornement des cimetières de mon enfance.

Les symboles de mon passé, affrontaient son présent. Comment séparer ses émotions des miennes, comment lui faire exprimer ses émotions personnelles dans cette période sensible où chacun doit affronter ses douleurs personnelles pour ses chères relations.

Etait-ce possible de parler de ces profondeurs, de ses peines enfouies pour les libérer alors que l’exemple de sa mère lui disait de ne pas se laisser aller en aucune manière à l’expression de ses émotions. N’aide t-elle pas ainsi par contagion erronée à sa mère, éviter d’ affronter ses pleurs profonds.

Bien sur après l’ambiance de la Toussaint, les émotions se feront moins vives et les médicaments aidant l’on retournera à la position d’équilibre, jusqu’au prochain deuil, jusqu’à la prochaine perte.

Dire sa peine profonde n’est pas encore la liberté entière de notre milieu familial, si le père s’en tire ne faut-il pas encore protéger la mère et suivre l’exemple des tantes.

G43-1/96

Séance de Kinésiologie.

Au début de cette nouvelle séance de recherche personnelle, une impression de tristesse s’était glissée dans mon humeur et ma voix se portait en témoin de cette émotion. Ma respiration laissa transparaître comme de temps à autre, ouvertement un sanglot tout à fait particulier. Une parenthèse vite maîtrisée et l’émotion disparut tout en laissant une trace auditive dans ma mémoire.

Après un échange verbal, suivant sa technique, je fus embarqué dans une régression dans le temps pour passer après un arrêt à 33 ans. A l’énoncé de la période d’age, ma thérapeute recherchait dans mes tensions musculaires les raideurs ou les influx nerveux qui pouvait signifier un point de raidissement et un événement douloureux

Les événements qui s’étaient passés à cet age là me semblaient tout à fait inaccessibles et j’essayais vainement de retrouver un fait marquant de cette période sans trop y arriver d’ailleurs, ni par l’age des enfants, ni par le boulot. Aucun événement ne perçait le voile recouvrant mes souvenirs. N’était-ce pas mon premier lumbago qui s’affichait ainsi comme événement marquant.

L’hypothèse était plausible sans cela être déterminante et je laissais faute de mieux voguer mon imagination sur cette idée acceptable.

Ce bref arrêt sur le palier du temps, se poursuivit cette fois vu l’épuisement du sujet par une nouvelle plongée qui cette fois se situa vers l’age de 7 ans. Quel était l’événement. L’école primaire, en deuxième année. Oui c’était la date de mon changement d’école pour l’entrée à l’école des garçons dans la classe unique du village avec un instituteur dont la taille me semblait celle d’un géant. Le temps passé, des faits, de cette époque, rien n’évoquait un événement important. Pour accrocher l’un ou l’autre souvenir, je répétais plusieurs fois non pas mon age, mais l’année de l’événement, 1951, 1951 pour tester une autre approche .Que s’était-il passé en 1951. Ce passage par le millésime me raccrocha immédiatement à mes recherche généalogique et à la date du décès de ma grand-mère maternelle. et à la tristesse qui avait certainement été vécue par ma mère. Était-ce le but de cette glissade dans le temps.

Sa mort me renvoyait à la tristesse de ma mère que j’avais ressentie à la vue de la peinture de Magritte reprenant la silhouette d’une femme statue, habillée d’un manteau et exprimant me semblait-il comme le confirmait ma soeur la tristesse de maman.

Un spasme régulier, de deux à trois centimètres se marquait exactement à l’endroit d’où partait mon lumbago.

C’était comme si les deux dates prenaient sens, l’une pour introduire le mal de dos et l’autre la source du mal, du mal être que je portais depuis si longtemps.

Tristesse d’un enfant partageant la douleur de sa mère, la portant sur ses épaules dans une sympathie fusionnelle, comme un cordon ombilical de tristesse me reliant à elle, alors qu’a cet age j’aurais du être l’enfant joyeux, sans soucis rempli de joie. « Tristounet ». le mot qui avait résonné à mes oreilles un jour par surprise, dit j’en suis sur par la cousine Suzanne venant visiter ma mère prenait son sens. Ma tristesse était aussi celle de ma mère.

La séance se terminait par une recherche d’image positive, d’un enfant de cet age profitant de la fête  pour se laisser entraîner  dans la ronde joyeuse du carrousel villageois. Fête de mon enfance qui ont été noyée dans un fond de tristesse, fête qui ne pouvaient se vivre dans la liberté et l’enthousiasme.

Tristesse que je portais par symbiose et qui expliquait tout un ensemble de vécus ultérieurs. Blocage de l’insouciance pour participer à la tristesse latente que je voyais sur son visage, que je ressentais dans ses humeurs, dans son non dit. Présence la plus fréquente pour faire plaisir et faire disparaître la trace de ses yeux en larmes.

Le spasme à la hauteur du coccyx se poursuivait comme un métronome, avec sa pulsion régulière d’un minuscule coeur battant à l’unisson.

Le calme qui suivit cette séance me conduisit a l’association de mon sanglot du début et du sanglot de ma mère. Nous avions c’est sûr le même sanglot. Par mimétisme, pour marquer mon lien, mon soutien à sa peine,  j’avais copié son appel muet couvert de tristesse remplaçant les mots non-dit, non pleuré, enfermant l’émotion.

Le puzzle de cette émotion était en place, cet age, ce lumbago hérité d’une charge trop lourde pour mes épaules d’enfant, sa tristesse, la mienne aussi sans doute tout tournait autour de cette peine non-dite.

Toute la tristesse du monde était sur mes épaules , sa tristesse la mienne aussi sans doute à propos d’une mort qui me dépassait, douleur qu’il faut cacher, douleur pesante, douleur puissante, douleur à rendre, consolation à prendre. Joie de dire, joie à partager.

G29