Comme les autres jours, les autres fois, par habitude, par éducation, je marquais le pas pour laisser le passage et l’entrée dans le compartiment du train, à une dame d’une trentaine d’années. Hésitation nuancée, à peine perceptible. Celle-ci ne fit pas usage de la faveur qui lui était faite. Etonnement discret, volonté d’avancer quand même malgré la préséance, hésitation, recul. Regard vers la dame. Ca y est, nous étions entré dans un ballet subtil. Passera, passera pas, avancera, avancera pas.
Signe d’une différence dans le jeu subtil des égards. Pas d’écart de sa part à ce jeu sérieux de la politesse. Elle a l’âge où l’on sait encore ce que cela veut dire. Elle a la pratique de l’art contrairement à beaucoup de ces jeunes qui prennent sans vergogne leurs aises, qui laissent leur immense sac fourre-tout au milieu du chemin, en plein dans le couloir car ils ignorent les porte-bagages. Elle n’est pas du genre à s’installer sur au moins deux places, une pour elle et une pour son précieux sac à dos qu’il n’est pas question de déplacer pour offrir une place à celui qui passe à la recherche d’un siège. Elle ne s’excusera pas, insistante, pour faire comprendre qu’un sac n’a pas sa place sur le siège quand il y a des personnes debout dans le couloir.
Pourtant l’accord n’était pas parfait. Le ballet ne fonctionnait pas.
Nous étions dans le jeu de ceux qui savent et malgré tout, il y avait, comme un grain de sable, un élément non maîtrisé , inconnu qui s’était immiscé dans le rituel. Elle ne prendrait pas son avantage, dans son esprit, il était certain que c’était moi, qui avait droit à la préséance. Debout à bonne distance, après être passé le premier, quinze seconde plus tard, je m’interrogeais et une petite scènette du genre refit surface.
Pour son fils qui devait avoir plus ou moins douze ans et qui se vautrait dans le siège, une mère exigeait un moment d’attention pour faire passer son message. J’observais debout, dans le train bondé l’interaction de celle-ci et de son rejeton. « Veux-tu te lever pour le Monsieur. » C’était de moi dont qu’il s’agissait. Le gamin rouspétait, sans doute fatigué par sa journée de vacances prise avec le train.
Autant lui laisser la place, assis toute la journée, je ne me sentais pas fatigué. Alors j’essayais discrètement de montrer à cette brave dame, que je patienterai bien, que ce n’était pas si important. Mais le débat, m’avait déjà échappé. Elle était en train de défendre auprès de son fils, ses principes et là ce qui était dit, était dit. Elle n’aurait pas accepté de perdre la face. J’allais avoir la place de l’enfant, bien malgré moi. Elle insistait « Laisse ta place, au Monsieur ». Avec un soufflement de bête blessée, de martyr, bruyant, dépité, vaincu, il s’exécuta. Elle avait gagné son combat et m’obligeait d’approuver sa démarche. Au nom de la bonne éducation, des parents qui essayent d’inculquer à leurs enfants, les bonnes manières, je pris la place et m’assis, sauvant, son autorité de mère. J’avais perdu au jeu, j’étais devenu un cas d’école, un point de référence, je n’étais plus l’anonyme, le passant, j’étais dans le rôle du » Monsieur respectable »
Aujourd’hui encore, et plus encore que l’année dernière, j’avais moi reçu la préséance, car j’avais blanchi, beaucoup blanchi. Ce n’était plus tout à fait la couleur »poivre et sel » mais plus » le sel et un peu de poivre »
Hé oui, c’était là la cause de cette hésitation, j’entrais un fois encore, une fois de plus, définitivement ou presque par la couleur de mes cheveux dans une classe d’âge respectable.
Petite leçon de politesse, petite leçon de vie.