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Le pointeur sur le texte dans l’application de traitement de texte tournait follement. Sa rotation ne voulait pas s’arrêter malgré les différents essais que j’avais fait pour arrêter ce tourbillon coloré fou. J’avais perdu le contrôle de ma machine. La situation était inhabituelle et la commande « Forcer à quitter » était inutile . Seul l’arrêt de l’alimentation pouvait forcer, je l’espérais la machine à refaire le parcours de lancement de l’ouverture. L’écran était devenu blanc, vide malgré une deuxième tentative.
J’étais forcé d’accepter le crash de ma machine. Mon pc n’existait plus, c’était un ensemble décoratif, muet, inutile.
Après être passé à la boutique pour le dépannage, je revenais avec mon pc remis à neuf, comme il disait, avec le programme d’origine d’il y a quatre ans, mais vide de tout, des applications déchargées, de mes travaux, malheureusement effacés. Les perspectives n’étaient guère réjouissantes mais c’était la seule option qui m’avait été offerte. J’étais victime non d’un obsolescence programmée des composants comme on l’entend souvent à la radio actuellement, mais d’une obsolescence évolutive, progressive entrainée par des vagues de mise à jour à tous les niveaux qui se mélangent, qui se complexifient. Evolution dont je n’ai guère besoin.
Ne suis-je pas obligé de me maintenir à flot, de m’adapter régulièrement, à des options de plus en plus complexes, sans utilité immédiate, sinon pour maintenir une compétitivité, et une aura entre les marques du marché.
De retour à la maison, je reconnectais la machine pour constater que je me trouvais devant un objet vidé de toute sa substance, de ses mots de passe préenregistrés pour chacun des liens, de ses applications collectées au cours des années de fonctionnement. J’étais brusquement renvoyé dans le passé immédiat, avec d’anciennes possibilités, bancales mais utiles et suffisantes dans mon quotidien.
La mise à jour précédente du système, acceptée car elle m’ouvrait sur le « cloud » avait apporté ses premières angoisses, celles de tout perdre car mon traitement de texte obtenu par une voie détournée n’était plus accepté à l’ouverture que difficilement. Celle-ci permettait à la machine d’écarter les applications des programmateurs non-certifiés par le monopole et de refuser le fonctionnement de l’application. J’étais régulièrement confronté à un blocage et à l’usage obligé de la commande « Forcer à quitter ». Mais cahin-caha, je poursuivais mon chemin.
La dernière mise à jour acceptée pour rattraper une sécurité annoncée comme défaillante, avait été la goutte qui avait grippé définitivement l’ensemble et l’avait conduit au crash. Au retour de la machine, devant le vide absolu de mes apports, je m’étais imaginé que ma machine avait un genre, et cette idée tournait dans ma tête.
Etait-ce un « Il » ou une « Elle ».
A voir tous les caprices qui m’étaient imposés, toutes les procédures à reconstruire selon leur logique, j’hésitais. Etait-ce aussi par un jeu de mot, une ile ou une aile.
Au fond, je me croyais sur une ile, vivant mon petit confort, selon mes besoins, mes habitudes, loin de l’agitation technologique qui lance les unes après les autres des technologies qui seront obsolètes dans les cinq ans vu le galop du progrès.
Avec le livre, la lecture, pendant des décennies l’on a pu s’informer, communiquer, suivre car les caractères ne changent guère, les mots évoluent lentement, les connaissances sont assez stables et pas trop vite décalées.
En technique, depuis l’usage des mémoires pour le sauvetage de l’information, le stockage, l’on est passé rapidement du floppy disk, à la disquette, au disque CD-Rom, à la clé Usb, à la mémoire en réseau, en attendant sans doute autre chose comme avancée technologique. Cimetières successifs pour mes archives, qui trainent sur des étagères car les lecteurs devenus obsolètes disparaissent.
J’étais fier d’avoir un disque dur au bout du monde, service que j’avais choisi payant pour assurer sa pérénité mais qui succomba cinq ans après pour une modification de politique et de services par la société, m’obligeant à mettre des semaines de travail à zéro car l’application de mise en page était abandonnée dans les six mois et à récupérer les données, dans un format obsolète, incompatible avec le marché.
Mais moi qui cherche à écrire un texte essentiellement, à le sauver, l’imprimer, je n’ai pas besoin de toute cette technologie. De tous ces apprentissages qui se balayent épisodiquement. Je vais revenir au bon vieux papier, à classer sous la main, dans l’armoire que je pourrais consulter à l’envie, facilement selon mon bon vouloir. Déjà maintenant mes archives en format 2004, ne sont plus qu’en mode lecture, je ne peux plus corriger ou améliorer une forme, une phrase, une faute. La version 2016 avec toute ses fioritures bloque, peine devant la simplicité du passé. Je ne suis plus sur une ile, je suis en réseau, j’ai des ailes, je surfe, je vogue, je vole de gauche à droite et je crashe.
Mon application de traitement de texte ne sait plus entrer dans le système, et cela m’oblige à acheter une version up-to-date certifiée que le réseau abandonnera dans les cinq ans ou rendra périmée, avec à la clé, une remise en place dans des endroits différents de commandes cent fois exécutées. Même le pdf qui n’avait qu’un usage de rotation dans mon cheminement, est abandonné et cela m’oblige à prendre un abonnement mensuel pour la seule opération que je compte utiliser car je ne suis pas dans la forme du texte mais je m’éclate dans le fond et je peste contre tous les tutoriels à consulter pour retrouver la commande évanescente qui a été transférée dans des concepts autres mais équivalents à choux vert et vert choux.
Le logiciel de dictée qui faisait ma fiertè et mon plaisir à lui aussi été effacé. Le cd original que je croyais rempli de la version remplaçante ne comporte qu’une image, qui évitait la multiplication à gauche et à droite mais dans mon cas, j’ai une version écrasée, c’est autre chose. Et pas moyen d’en racheter une autre car la firme ne commercialise plus la version idoine. Me voilà aussi orphelin. Son concurrent peine à l’égaler, et je râle.
Mon imprimante raccordée mystérieusement dans le passé, ne répond plus et j’en ai perdu le code d’accès pour la relier au pc maintenant.
Je ne suis pas sur une « ile », je suis sur un pc, « il » logique implacable conçue pour obtenir une contribution financière maximum nourrissant les acteurs, le progrès.
Mais qui y gagne ? J’en bave ! Ne devais-je pas voir la machine comme une « aile », une « elle » capricieuse, illogique qui dit oui, qui dit non selon la configuration ou l’humeur.
J’aimerais m’envoler sur le net, partage mes textes, mes réflexions, être léger, papillon. Je passe mon temps à courir derrière ce qu’ils appellent le progrès et leur technologie. Qu’y faire. Qui sait encore où l’on va ? Où est la simplicité de la plume qui court sur le papier. Faut-il revenir au cahier de mes débuts ? La correction, l’accès, l’ouverture sont une simplicité dont je rêve.
« Il » ou « elle » ?
Je préfère finalement un pc sans genre. Le laisser pourquoi pas dormir dans un coin qui ne fait à présent que mon supplice.
Cher André,
Est ce le monde qui va trop vite où est moi qui ralentis ?
Par moment, je prends peur à exécuter certaine choses que j’ai fait instinctivement par le passé, sans inquiétude.
Je n’ai fait que subir l’informatique, monde dans lequel je n’ai jamais eu ma place (encore un). Je n’utilise que quelques applications très marginales et fort simples.
Je compatis à tous tes problèmes. Je me dis parfois qu’il vaudrait mieux vivre l’instant que de vouloir archiver mon passé. Le passé est vain et encombrant, sa seule qualité est de m’avoir ouvert à l’expérience.
L’informatique nous a donné l’illusion que nous allions maîtriser… maîtriser notre temps (agenda connectés) maîtriser nos contacts avec nos amis (mail, tweeter, facebook…) maîtriser nos comptes, nos affaires… maîtriser notre mémoire ! l’informatique n’est qu’un outil, une aide. En réalité, j’entre vite en dépendance de mon PC que j’avais cru être la solution miracle à toute une série de difficultés existentielles.
Je reste seul avec mes si faibles connaissances, mes souvenirs qui s’estompent avec le temps. Nous sommes à un âge où nous nous sentons de plus en plus vulnérables, fragiles.
Tes difficultés à gérer ton PC soulignent le temps qui passe, le lâcher prise que nous savons inéluctable et que nous redoutons tant.
Voici quelques commentaires et une transcription de mon vécu informatique …amitié Thierry
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Merci de ton écho que je découvre seulement aujourd’hui. Encore un stuuuut de plus. Courir derrière le progrès, oui, tant qu’il ne nous assomme pas. Je le suit un peu en décalage mais je garde le sens et mon fil rouge. Amicalement
André
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