Entends Mozart.

Fatigué par l’activité ménagère dense de la matinée, je m’étais assis sur le lit puis couché sur le dos, les pieds toujours à terre pour me détendre quelques minutes en écoutant le morceau de musique classique que l’enregistreur à cassette diffusait.

Le morceau de musique jadis composé par Mozart me plaisait. Systématiquement chaque jour, j’essayais d’en écouter d’autres, de me retrouver un peu plus dans ce monde musical que j’avais souvent fuit et rejeté pour m’attacher à la musique de jazz et à la musique moderne.

Cette musique me parlait et son dynamisme me faisait du bien me remontait le moral en cette période pénible où j’assurais le travail à la maison faute, de travail extérieur.

L’orchestre accompagnait le soliste, joueur de flûte ou de clarinette sans que je puisse vraiment l’identifier car ma connaissance de la qualité des sons se réduisait à peu de choses. Seule la pureté du son de l’instrument à vent se démarquant des autres instruments, m’intéressait.

Totalement relâché, sans contrainte physique, j’étais entièrement disponible et totalement centré à présent sur le son magnifique et pur qui s’échappait dans l’espace. Je pénétrais de plus en plus dans le champ sonore et musical de la composition jusqu’à m’identifier, ne faire qu’un avec les ondes qui atteignaient mes oreilles, mon corps tout entier. La musique et mon corps étaient sur une longueur d’onde semblable, similaire, parallèle peut-être puis une sensation m’envahit le ventre.

Étais-je envahi par le son, impossible d’en décrire clairement l’historique ?

Un saut de perception venait d’être fait en moi. Le son de l’instrument s’était matérialisé comme un serpent sortant des hauts parleurs, pour entrer en moi en vibrant, tourbillon surprenant d’animation symbiotique avec le soliste. Comme une toupie l’énergie musicale, soutenue par la clarinette ou peut-être même le hautbois, se mouvait de plus en plus vite dans mon espace corporel, pour sur sa lancée soutenue par les violons attendre le retour du soliste pour s’envoler de plus en plus fort.

Le musicien était comme un charmeur de serpent, avec ses notes, son talent, son énergie, il faisait monter et se déplacer en moi un affect musical ventral.

Sous l’observation de mon esprit étonné qui assistait à la performance musicale non plus à l’extérieur mais à l’intérieur, la musique était en moi, me faisait vibrer. Le son pur et gracieux, l’espace du souffle du musicien menait une danse tourbillonnante en moi.

Mon corps dans cette posture curieuse n’était plus qu’une coupe avec en son centre comme un feu follet. Flamme avivée par un soufflet, le son issu du transistor tournait en moi s’élevait, montait, descendait, dans un mouvement joyeux et rempli de mystère. Le monde sonore extérieur s’était prolongé par un monde de sensation intérieur sans que je puisse dissocier et l’un et l’autre. Puis le soliste épuisé par sa performance céda le pas et l’orchestre repris la partition. L’affect disparu définitivement et dans la rémanence de cet événement, je reviens à la réalité, surpris et déçu. Un bout de nirvana venait de m’être donné, gracieusement en cette matinée de solitude et d’abandon à la grâce.

Encore, encore criait en moi, toutes mes perceptions corporelles, encore c’est tellement bon. Ce feu d’artifice avait été tiré me laissant le souvenir d’un événement unique en tout cas primaire dans mes souvenirs musicaux. Déjà, je me redressais, me levais pour remettre à son début la bande sonore, pour la remettre en route et attendre au passage suivant le retour éventuel de l’affect. L’expérience serait-elle reproductible, dans l’instant, dans le futur.

Serait-elle comme un plat favori que l’on peut à sa guise, quand l’envie se fait, reproduire pour sa satisfaction et son plaisir ?

Les circonstances historiques, étaient-elles, nécessaires et suffisantes, ou était-ce l’histoire d’un billet de loterie gagnant, donné une seule fois ? Était-ce le lot d’un être paumé et aux aguets de pouvoir dans sa sensibilité et susceptibilité face au monde de vouloir chercher refuge dans une musique drogue et baume de sa solitude et de son isolement ?

L’affect était là comme un souvenir clé comme une certitude d’un état pouvant être vécu. Comme un phare dans la grisaille du jour au milieu d’une tempête sociale. Le quotidien pénible et angoissant laissait peu de temps à l’abandon et à la rêverie.

Des échéances humaines envahissaient et perturbaient mon quotidien. Seuls les mots écrits, sur une feuille de papier, gardaient la trace de l’événement d’un jour et du vague souvenir de tentatives nouvelles de repartir sur l’orbite joyeuse de la musique que Mozart avait jadis composée.

La danse du ventre

L’atelier des rêves arrivait à sa fin et Anne l’animatrice, nous proposait pour nous détendre de la journée passée assis, quelques exercices de relaxation dont un s’appelait la danse du ventre. Il était question d’une tribu d’indiens, mais mon attention à ce moment, n’était plus assez fraîche, des éléments d’explications m’avaient échappés.

« Imaginez votre ventre comme une boule suspendue, par le haut à deux fils imaginaires, fixés à chaque épaule, reliées en bas par deux autres fils à la rotule de chacune de vos jambes. La boule est le centre et centre de votre corps. Elle tourne attachée à ses quatre points de fixation. Elle tourne en rotation courte, large, minimum, maximum. Elle monte et descend. Boule et corps ne font qu’un.

Avec toute ma bonne volonté, encouragé par les efforts des autres, j’essayais de mon coté de faire tourner mon ventre-boule, le plus adéquatement possible en suivant les directives de notre animatrice. Par son commentaire, elle lançait des idées dans les registres suivants.

« Votre corps relié à la terre par l’intermédiaire des pieds, posés à plat, franchement en contact avec elle. Le corps plongé dans l’air, les bras bougeant pour s’y fondre, s’y rattacher, s’y plonger. Les bras rattachent au ciel en un mouvement souple. »

« Votre boule, votre corps suit ce mouvement de haut en bas, du bas en haut, de la terre au ciel, du ciel vers la terre, de la terre-mère au ciel-père, libre entre les deux.  »

Le corps vit, de l’un à l’autre. L’énergie circule en symbiose avec l’un, avec l’autre, les intégrant.

De sa voix douce, par ses images, ses encouragements, elle nous entraînait, m’entraînait dans un mouvement et un contexte nouveau pour moi. Mon corps gauche, lourd, raide, lent s’enrayait dans cette démarche. Ce bassin ne tournait pas rond, tournait mal, par saccade, irrégulièrement. C’était simple, limpide comme exercice et pourtant je buttais.

Quelque chose coinçait. La souplesse, l’énergie ne circulait pas bien, ne circulait plus, se bloquait entre mon ciel et ma terre. Je percevais à présent nettement le blocage de mon corps en exercice. Je m’étais lancé sans idée préconçue, et à présent un message me perçait la tête, créait une nouvelle donne, cherchait une reconnaissance.

J’étais en dehors de l’épure, mon centre, ma boule ne circulait pas sur son orbite, ne tournait pas rond, ni en rond, je n’occupais pas mon centre. Une perception très nette de déséquilibre s’inscrivait nettement. Mes attaches supérieures tiraient cette boule en moi, me déséquilibrait, me détachait de la terre, ma boule était collée en haut côté ciel, mon bassin n’était pas occupé. Les fils d’attache du haut de la boule, la tirait comme le feraient une paire de bretelles, vers le haut.

La journée prenait fin sur cette curieuse et nouvelle sensation.

Plusieurs jours durant, cette impression me collait à la peau, j’étais en recherche pour lui donné sens pour l’intégrer, pour en saisir les conséquences physiques sur mon corps. Les idées se succédaient dans ma tête pour se fixer de plus en plus précisément sous une image de tension, de pression. Ma boule comprimait mes poumons, limitait ma respiration, mon volume d’air, me faisait perdre ma portance à la nage.

Bien sur, n’était-ce pas pour cela que je ne pouvais nager, ni faire la planche vu mes poumons sans profondeur ?

Ma digestion était mauvaise, lente, vu la pression interne qui venait de prendre corps. Mon énergie vitale ne s’enracinait pas, était bloquée quelque part dans le bas du corps. De lumbago en lumbago, mon corps me disait la tension, la réserve, la peur de descendre dans mon tréfonds, dans mon corps à la rencontre de ce qui était la terre en moi.

Douleur présente, douleur gênante, pulsant régulièrement son avertissement.

Souffrance, indice d’un corps qui souffre, où l’énergie, la souplesse ne circule pas. Souffrance d’un corps coupé en bas, coupé de la terre-mère.

Frère et sœur souffrant du mal de dos, témoin d’un même héritage, mal héréditaire, mal comportemental, repris jour après jour du comportement parental. Peur de la terre, de la mère, des émotions de la mère.

Attitude face à la mère. Attitude face au père. Dualité, déséquilibre.

Pylore, pilori.

Dans cette aigreur et ce brûlant récurrent, le mal vécu de mon boulot, devait y être pour quelque chose. Cela me devenait de plus en plus clair. Les périodes sombres tendues dans mes relations de travail étaient suivies de troubles d’estomac, principalement d’acidité, d’aérophagie. Souvent, je n’en disais mot et gardais cette nausée pour moi, sans trop prendre conscience que j’étais aussi irritable et irrité que devait l’être ma membrane gastrique. Machinalement, je frottais sur mon estomac avec le souci inconscient d’évacuer au loin cette gène que je percevais. Un curieux ballottement se produisait, semblable au comportement d’une bouillotte mal remplie ou d’un réservoir à essence. Il y avait du mouvement dans ce ballon ballottant.

« Tu n’es pas bien? me dit-elle, intriguée par mon comportement.

« J’ai mal digéré. J’ai le brûlant.  »  « N’oublie pas ton médicament ! »

Bien sûr, bien sûr. J’en avais en réserve pour me soulager de cette brûlure. C’était ma seule ressource d’ailleurs.

La soirée se poursuivait dans l’ambiance tranquille d’une soirée familiale d’hiver. Le téléphone transmit son appel, persistant et rythmé sous mon indifférence complète. Ce n’était pas pour moi à cette heure. C’était l’heure des amies de ma femme et des amis des enfants. La conversation animée qui suivit me désigna sans la moindre doute, la féminité de l’appelante et ses soucis. C’était une amie de ma femme qui entraînait la conversation dans un de mes domaines favoris du moment : les rêves. C’était son rêve de la nuit passée. Mon épouse m’appela pour en partager l’écoute et pour participer à ce jeu futile et profond de l’interprétation des rêves. La conversation s’animait, se poursuivait à présent dans un échange profond, sensible, vivant. Curieusement mon corps fut animé par un bruit d’air, par un gargouillis à hauteur de la poitrine. C’était une décompression. Au propre comme au figuré, dans le corps comme dans l’esprit, je vivais une relaxation. Mon corps fonctionnait à nouveau tant l’échange verbal avec l’auditrice était chaleureux. Le phénomène de l’acidité trouvait son explication, je savais à la fois intellectuellement et physiquement.

Ma tension nerveuse disparue, le blocage de l’air qui entraînait le ballonnement et l’acidité se résorbait, plus loin que mon estomac, la barrière du pylore s’ouvrait me libérant. Quelle vérité que cette phrase de notre langage commun : » Il m’a coupé l’appétit. » L’estomac bloqué à sa sortie, n’accepte plus rien, refuse son service, rend son acidité. Mon vécu se marquait physiquement, c’était psychosomatique, cette acidité.

Un souvenir ancien, de plus de 10 ans, me revint à l’esprit. Je ne pouvais plus respirer qu’avec difficulté, par petites doses seulement, lentement, bruyamment. Sous la panique, j’attendais le médecin, appelé d’urgence et respirais vaille que vaille. Un quart d’heure plus tard, dés que la sonnette retentit, le phénomène disparu immédiatement, j’étais guéri, libéré. J’étais frais dispos pour le recevoir, moi le grand malade, le moribond.

C’était maintenant la même chose, le même phénomène, l’air accumulé et bloqué dans mon estomac se détendait, ici libéré par la parole, par le rire, avant par la figure secourable du médecin.